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renforts importans ; mais nous en avons reçu aussi. La confiance de nos-hommes reste la même : les Allemands ne sont pas passés, ils ne passeront pas.

Leur plan, on le sait, est de gagner Calais à tout prix et de s’en emparer de vive force. Ils croient qu’une fois là, ils menaceront plus sérieusement l’Angleterre et que, maîtres de la côte sur une longue étendue, avec des points d’appui comme Anvers, Dunkerque et Calais, ils donneront une base solide aux projets d’invasion dont leur imagination exorbitante, colossale comme ils aiment à dire, s’est depuis quelque temps enivrée. Pourquoi ne réussiraient-ils pas où Napoléon a échoué ? Pourquoi ne passeraient-ils pas le détroit pour frapper l’Angleterre au cœur, sur son propre territoire ? N’ont-ils pas des moyens nouveaux, des instrumens perfectionnés d’une puissance telle que rien ne peut leur résister ? Ils ne connaissent plus les limites du possible, et nous avouons volontiers qu’elles ont été reculées jusqu’à un point qu’il est difficile de fixer. Sans croire que l’invasion de l’Angleterre soit d’une exécution aussi simple qu’ils l’ont rêvé, il est bien vrai que, depuis le camp de Boulogne, les conditions du problème ont été assez sensiblement modifiées. Seulement, pour le résoudre, ou du moins pour en préparer la solution, il faut prendre Calais, et on ne l’a pas encore pris.

Il n’y a rien de tout à fait nouveau sous le soleil, et les grands desseins de l’état-major allemand ne sont pas chez lui une invention tout à fait récente. Le général de Bernhardi, dans son ouvrage intitulé : La guerre d’aujourd’hui, en avait déjà eu une idée, qui ne lui appartenait pas non plus en propre, car il la rattachait lui-même à Frédéric II. « Si, dit-il, dans un duel entre la France et l’Allemagne, l’offensive allemande s’engageait en Belgique, cette offensive pourrait se mouvoir avec la plus grande liberté, dès que la flotte française serait battue et si la flotte allemande était maîtresse de la mer au point que les armées de terre pussent s’appuyer en partie sur la côte. Le grand Frédéric a, on le sait, esquissé un plan de campagne qui s’inspire de cette idée. Il admet, conformément aux circonstances d’alors, une coalition de l’Angleterre, de la Prusse, de l’Autriche et de la Hollande contre la France, celle-ci ayant concentré son armée principale en Flandre, tandis qu’elle protège ses autres frontières au moyen de corps particuliers. En face de cette disposition, le Roi veut, de son côté, rassembler l’armée principale des alliés dans le Nord. Elle partirait de Bruxelles et battrait d’abord l’armée principale ennemie supposée en Flandre ; puis elle prendrait une direction à droite,