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eût servi de « modèle » à celle d’Offenbach, nul musicographe de chez nous ne s’aviserait de confronter les Noces de Figaro avec la Périchole. Sans compter toute l’invraisemblance « historique » d’un lien quelconque entre les deux ou trois fantaisies policières de l’admirable poète américain et les aventures « sensationnelles » d’un M. Lecoq ou d’un Raffles, — ce médiocre et déplaisant « gentleman-cambrioleur » dont on ne s’attendait guère à rencontrer le nom en pareille compagnie !


Chose étrange, pourtant, cette exagération du manque de mesure et de goût n’a pas eu pour effet d’accroître du même coup, chez les savans allemands, la hardiesse d’invention qui choquait à bon droit l’auteur de l’Antéchrist. Bien loin de transporter dans sa science une audace que, sur maints autres terrains, elle pousse volontiers jusqu’à l’effronterie, l’Allemagne victorieuse y est même devenue infiniment plus timide que l’avaient naguère connue les contemporains de Renan. Vainement nous chercherions désormais chez elle l’équivalent des amples systèmes édifiés autrefois dans les nuages par la dialectique d’un Hegel, ou même l’équivalent des paradoxes faciles de ces David Strauss et de ces Feuerbach qui, « repoussant de solides témoignages, prétendaient leur substituer des hypothèses de hasard. » L’instinctif « respect » que déjà Mme de Staël découvrait au fond de toute âme allemande a décidément achevé de l’emporter sur ces anciens essais d’indépendance critique : il règne aujourd’hui d’un pouvoir absolu, dans toutes les provinces de la pensée allemande. Et la chose n’est pas, en somme, aussi surprenante qu’elle pourrait le sembler au premier abord : car l’on comprend sans peine qu’un empire foncièrement « militarisé, » comme l’est celui-là, ait toujours employé ses soins à « discipliner » la pensée nationale.

Jamais à coup sûr le respect de la « chose imprimée, » en particulier, n’a atteint les proportions qu’on lui voit aujourd’hui dans la science allemande. Magister dixit : il n’y a plus maintenant jusqu’aux erreurs des « maîtres » qui ne soient assurées de l’immortalité. Tout récemment encore, sous la direction de M. de Waldersee, un groupe de musicographes allemands ont publié une nouvelle édition du précieux Catalogue chronologique de l’Œuvre de Mozart, compilé voilà cinquante ans par le géologue Ludwig von Kœchel. Celui-ci avait, ainsi qu’il sied, classé les diverses œuvres du maître suivant l’ordre des dates, certaines ou probables, de leur composition ; et personne ne s’étonnera d’apprendre que, pour quelques-unes de ces