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dans la forêt. Priska ne s’attend àv rien ; mais un fou concupiscent se jette sur elle et est sur le point de la terrasser : Simon court et sauve Priska. Elle est bientôt dans les bras de Simon, le sent très fort, très bon, sent plus encore que leur union les protège. C’est la sauvage agression de ce bandit luxurieux qui révèle aux deux races distinctes leur unité profonde et leur devoir de bonne entente.

Je ne veux pas prêter à ces écrivains belges un don de prophétie ; je ne les présente pas comme les annonciateurs des événemens extraordinaires et terribles que nous voyons et des lendemains que nous entrevoyons. Toujours est-il qu’à lire, dans les volumes de M. Gilbert, les résumés de leurs romans et de leurs nouvelles, nous sommes à chaque instant touchés d’une allusion plus ou moins nette et, quelquefois, étonnante d’à-propos et de vérité, qui s’éveille, apparaît et rayonne mystérieusement. Ce n’est pas sorcellerie ; ou bien, toute la sorcellerie de ces conteurs provient de la science très pénétrante et intime qu’ils ont de leur pays et de l’âme de leur pays. La destinée n’est-elle pas écrite, en quelque façon, dans les derniers replis des âmes ? Ils ont été jusqu’à l’âme de leur Belgique et ils y ont lu, je ne dis pas les hasards, au moins les volontés certaines.

Enfin, ne sera-t-on pas surpris, — ému aussi, — de trouver dans le dernier recueil de M. Gilbert (et j’insiste sur ce fait que le volume est de plusieurs semaines antérieur à la présente guerre) tout un chapitre, et bien touchant, relatif à nos provinces de Lorraine et d’Alsace ? L’occasion, pour le critique, ce fut une enquête menée au bord du Rhin par deux journalistes belges, M. Dumont-Wilden et M. Léon Souguenet. Leur étude, M. Gilbert l’a classée parmi les œuvres des écrivains régionalistes. C’est une indication déjà sur la question que posaient et qu’ont résolue MM. Dumont-Wilden et Souguenet : que devient, après de longues années de conquête, une région durement soumise à l’entreprise du vainqueur ? A bicyclette, ils ont parcouru les villes et les villages des pays annexés, causant avec les gens qu’ils rencontraient, couchant à l’auberge, interrogeant les paysans, les bourgeois, les fonctionnaires, les hommes politiques, écoutant bien, regardant avec soin ; et ils ont travaillé « avec tout le désir d’impartialité dont se croyaient capables deux hommes vivant dans l’atmosphère fiévreuse et passionnée de ce temps. » Cette impartialité, ce n’était pas de l’indifférence : « il faudrait avoir l’âme glacée pour ne pas avoir envie de se ranger dans l’un ou l’autre parti, quand on parcourt le théâtre d’une guerre séculaire. » Ils ont recueilli tous les témoignages, sans fausseté ; et ils les ont tous interprétés avec bonne