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problème de conserver à ses montagnes leur terre et leur population.

Le déboisement en plaine. — La suppression des forêts en plaines ou coteaux et leur appauvrissement, qui constituent deux formes distinctes du déboisement, sont également une cause de dépopulation. L’exploitation régulière des forêts bien aménagées procure en effet aux populations rurales, par l’abatage, le bûcheronnage, l’écorçage et le transport aux gares, un travail d’hiver qui augmente leur bien-être sans gêner la main-d’œuvre agricole et contribue à les attacher au sol. Quand ce travail supplémentaire, qui représente une vingtaine de francs par an et par hectare boisé, se trouve supprimé par le défrichement de la forêt ou par une coupe précipitée, décorée du nom barbare de déforestation, qui supprime tous les grands arbres et suspend pendant une longue période les exploitations régulières, les habitans privés d’une partie de leurs ressources émigrent vers les villes ; et cet exode des campagnes, généralement suivi d’une crise agricole correspondant au manque de bras, est un acheminement vers la dépopulation du pays lui-même.

Contrairement aux idées qui avaient orienté Malthus vers de si déplorables conclusions à une époque où l’homme craignait la disette d’alimens, où l’industrie des transports était encore dans l’enfance et où l’agriculture n’était pas encore devenue intensive pour multiplier les produits du sol, les 6 225 000 hectares incultes révélés par les statistiques françaises montrent que ce n’est pas la terre qui manque à la population, mais la population qui fait défaut pour la culture de la terre. Il suffit de rapprocher le chiffre de 6 225 000 hectares incultes avec celui des 5 882 000 hectares déboisés à la fin du XVIIIe siècle[1], et signalés par l’inspecteur des Forêts Antonin Rousset, pour penser à la part considérable que ces grands déboisemens purent avoir dans la crise qui s’est manifestée, moins d’un demi-siècle après, sur l’accroissement de la population.

Une dizaine d’années avait cependant suffi pour cette destruction : « Dans les premières années qui suivirent l’épopée révolutionnaire, alors qu’on avait abandonné la réglementation du domaine forestier, disait le ministre de l’Agriculture au Sénat le 14 mars 1910, nous assistons à une véritable

  1. Antonin Rousset, Étude d’économie sociale forestière à propos du déboisement de la France. Cosmos, du 21 mai 1914.