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Corsini de composer avec le camerlingue et de « quitter le fol espoir de faire le Pape à lui seul. » Mais le présomptueux Florentin, fermant l’oreille « à la voix de la sagesse, » repoussa « une capitulation aussi humiliante » et se déclara tout au contraire « prêt à pousser sa chance. » Impopulaire dans le Sacré Collège, Massei, dit-il, n’avait subi qu’un « échec personnel, » et « le scrutin n’eût pas été de même si, au lieu de ce mauvais sujet, l’on avait présenté un candidat aimé de tous. » Or, précisément la faction Corsini en comptait un parmi ses membres, Gentile, le cardinal dataire de Clément XII ; « si on le proposait sur l’heure, le Pape était fait. » Le ton péremptoire de ce discours et l’obstination bien connue de son auteur rendaient toute discussion inutile : aussi Rohan laissa-t-il à l’expérience le soin de dessiller les yeux de son imprudent allié. Mis aux voix deux jours après, le nom de Gentile recueillait péniblement dix-neuf suffrages !

Le neveu de Clément XII vit « qu’il s’était fourvoyé. » Honteux, confus, « étourdi par ce nouveau coup de la destinée, » il vint, à l’issue de la séance, demander humblement au cardinal de Rohan aide et protection. Celui-ci était trop avisé pour rebuter ce suppliant et manquer l’occasion d’amener Corsini à s’entendre avec le camerlingue : l’adversité en effet rabat l’orgueil et diminue les prétentions ! Paternel et indulgent, le prélat français accueillit donc avec bonté son malheureux confrère, le réconforta, le consola, lui rendit courage. Agréablement surpris d’échapper aux reproches qu’il méritait, Corsini agréa tout ce que voulut son généreux ami et l’autorisa même à négocier, en son nom, avec Albani. — Le cardinal de Rohan n’en souhaitait pas davantage ; mais « cette joie s’en alla en fumée, » car le camerlingue lui refusa tout net de lier partie avec la faction Corsini. « Quand on est certain de la victoire, lui déclara-t-il, on ne s’embarrasse pas d’alliés intéressés. » Le coup était manqué : l’astucieux Rohan avait fait une démarche inutile ! Pour masquer sa déconvenue, il s’efforça de railler Albani et l’engagea d’un ton narquois « à précipiter sa victoire, afin que le Sacré Collège pût sortir de prison : » au fond de lui-même, il demeurait « la mort dans l’âme et anxieux de trouver une issue pour ne pas se perdre dans l’esprit de Corsini. » Le mois d’avril arriva sans qu’il l’eût découverte. Chaque jour, la messe entendue, les cardinaux se réunissaient