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blottir. Le soir, sa cachette flambant, il en sort, on le cueille. Prisonnier. En route, avec d’autres malheureux, vers Chamant…

Déjà quelques maisons brûlent. Entr’ouvrant les portes, en fracassant d’autres, brisant les vitres, les exécuteurs ont jeté, au passage, des bombes et des fusées, « par poignées de petites boules ou rubans, » — sans doute leurs longs sachets emplis de poudres, ou encore de ces pastilles noires et carrées, véritables comprimés d’incendies. Quelques instans après, le feu éclate. Emile Budin, jardinier fleuriste, a (d’une terrasse, 14, rue Bellon), vu pratiquer l’opération, « dans des maisons de commerce ou d’habitation. » Cependant, trouée par les sinistres lueurs, la nuit est venue. Les otages, — au nombre de vingt-six, — après de mortelles attentes, menacés d’exécution sommaire, ont été dirigés par groupes d’abord au Poteau, sur la route de Compiègne, puis à Chamant. Leurs gardiens les bourraient à coups de crosse, à coups de pied, à coups de poing. « Ils agissaient ainsi, — a déposé le témoin Boullet, — pour le plaisir de se distraire. »

En quatre tas, — un de treize personnes, un de sept où était le maire, un de six, — on les parque. A une certaine distance, pour qu’ils ne se puissent voir. Le groupe des six fut passé par les armes. Le groupe des sept assista, muet d’horreur, au tragique débat de son sort. D’abord ordre de se coucher à terre. C’était dans un champ, au lieu dit « les Glands… » — « Gardons le maire comme otage, et fusillons le reste ! » Mais un officier supérieur intervient : « Fusillez le maire, et gardez les autres. » On fait lever, avancer M. Odent. Deux bourreaux lui appuient les canons de leurs fusils au corps, font feu. Il s’effondra sur le côté droit, sans un cri. Puis ce fut le coup de grâce. « Je crois cependant qu’il n’était pas mort, relate le témoin Boullet, et que les soldats allemands l’achevèrent avec une hache. » Toujours est-il que les rescapés tremblèrent jusqu’au matin, à une dizaine de mètres du cadavre étendu… On les relâcha le lendemain, après les avoir traînés deux ou trois kilomètres, à la suite d’une colonne. Le groupe des treize, livrés à l’humeur des occupans qui se succédaient, eurent également, après d’anxieuses alternatives, la vie sauve grâce à l’un d’eux, M. Mader, qui parlait allemand. Il dut, en gage, servir d’interprète et faire l’essai constant des nourritures. La crainte du poison hantait les cervelles grossières.