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garantie peut-elle leur être donnée que les Senlisois ne s’opposeront en rien à l’occupation ?

« — Vous nous en répondez sur l’existence ?

« — Monsieur, répondit d’une voix très faible M. Odent, ma ville est une ville pacifique. On ne s’y livrera à aucune violence et vous pouvez être sûr…[1]. »

Des coups de fusil, partis des bas faubourgs, coupèrent la phrase. C’était l’adieu de nos turcos, battant en retraite, à l’arrière-garde. Rouge de fureur, le major fait saisir le maire. Premier otage. Son compte est bon ! Et dans la rue, au hasard, ou bien entrant dans les maisons, les soldats allemands saisissent qui se montre ou qui passe. Il est trois heures.

Un entrepreneur de pavage, Alexandre Boullet, est ramassé rue de la République, avec cinq autres. On les pousse en avant, au milieu de la chaussée, contre les balles françaises que les Allemands évitent, en se blottissant contre les murs. Dans le débit de boissons tenu par le sieur Mégret, rue de la République, une dizaine de fantassins font irruption, tapagent. Mégret, caché dans un réduit de sa courette, se montre : « Prenez I Prenez ! » dit-il. Lorsque sa femme, au bout d’un quart d’heure, se décide, met le pied dans le vestibule, elle voit son mari abattu sur l’escalier, la tête en bas. Deux balles ont, après le corps, troué le mur. Le débit est vide, vide aussi l’écurie. On a emmené cheval, harnais et voiture. Rue de Paris, chez l’hôtelier Simon, un officier et quelques soldats exigent à boire, raflent épicerie et tabacs, brisent les bocaux. D’autres leur succèdent, sifflent tout ce qui reste de liquides et, mécontens, entraînent patron et garçon. Simon proteste, les bras levés. Il n’a pas « le temps de prononcer deux paroles, » tombe, tiré à bout portant. Le garçon, Wagner, témoin du meurtre, est conduit jusqu’à l’hôpital où attendent déjà quelques autres prisonniers civils. Chemin faisant, il sert de bouclier, contre les tirailleurs dont les derniers coups de feu claquent…

En face de la rue de l’Épée, voici quatre badauds qui s’en revenaient de contempler l’incendie du parc à fourrages. Ils aperçoivent les uniformes gris, se sauvent à toutes jambes. Les balles en tuent deux, blessent le troisième. Le survivant, Vilcocq, est pourchassé jusque dans un grenier où il peut se

  1. Figaro du 28 octobre : Le Louvain Français.