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faut, au préalable, que nos obus écrasent les tranchées ennemies, détruisent le lacet des fils de fer qui hérissent la pente. Les salves partent sans discontinuer, sauf les intervalles nécessaires au repère du tir. Aux commandemens des sous-officiers chefs de pièce, les coups tonnent. On voit les gros canons se dresser, cracher leurs jets de flamme, retomber à l’affût : on dirait, vraiment, des monstres irrités… L’obus file, on suit sa chantante trajectoire : on guette, au point visé, l’éclatement. Une énorme colonne de terre et de fumée le signale. A notre gauche, neuf batteries de 75 se mettent de la partie, et, à notre droite, le canon anglais. Le terrain commence à être suffisamment arrosé, l’heure fixée pour l’assaut, trois heures et demie, va sonner. A ce moment, un Taube est signalé. Les artilleurs se dissimulent dans leurs abris. On nous fait cacher contre les arbres. Il paraît que, d’en haut, la batterie et nous-mêmes sommes invisibles. On aperçoit le vilain oiseau, le moteur ronfle, se rapproche… Fausse alerte. — « C’est un Voisin, » assure le capitaine, et chacun reprend sa place dans une sécurité complète… Mais voilà les mitrailleuses qui là-haut crépitent, l’assaut français s’ébranle. C’est malheureusement l’heure où il faut partir. Nous apprendrons demain, par le Communiqué, que l’opération a réussi : « Nous avons progressé dans la région de Soissons, où des tranchées ennemies ont été prises… »

On est à X… vers cinq heures ; les Anglais y défilent encore. En route pour Senlis, à travers les chemins sillonnés par l’armée alliée. On croise dans les champs un parc d’aéroplanes, des cavaliers au trot, qui ont fière allure… : La nuit vient, on roule en silence.

Senlis !…

C’est une chose inoubliable.

À la lueur éclatante du phare de l’auto, les ruines surgissent.

La grande rue dans sa longueur, l’amorce des rues transversales ne sont qu’un gigantesque amas de décombres. Vrai spectacle d’apocalypse que ce couloir de murs écroulés et noircis, ces façades lézardées aux ouvertures béantes. Du toit au sol, tout s’est abattu sur les mobiliers fracassés. On ne voit rien que de mornes tas de pierres, des fers déchiquetés et tordus, ça et là une cheminée en fol équilibre… Senlis, ou Pompeï ?… On