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mauvaises nouvelles se succèdent. « La méprisable petite armée du général French » avance. A l’aube, elle est là ; un kilomètre encore, et elle enlève cet état-major qui ne se résigne pas à ouvrir les yeux, hésite, stupéfait… Lorsqu’à huit cents mètres enfin ses sentinelles tombent, von Kluck se décide à tourner les talons, monte en auto… C’est la fuite. Adieu, Parisse !…

Encore les grands plateaux lumineux, les bois touchés d’or et de pourpre. Çà et là, pour témoigner du drame qui s’est joué sur ce théâtre, — et sans elles on ne s’en douterait guère ! — des voitures brisées, abandonnées… Il semble que toute la nature dise, avec sa paix : Pourquoi la guerre ?… La route s’incline, sinue en lacets charmans, vers la Ferté-sous-Jouarre, le ruban miroitant de la Marne… La ville a relativement peu souffert : quelques maisons trouées d’obus, quelques toits défoncés. Le charmant château, où coucha Louis XVI au retour de Varennes, est dévasté, détruit. Il nous faut faire, pour atteindre l’Ourcq, un détour de vingt kilomètres ; les ponts sont coupés. Ces délicieuses petites vallées, ces chemins de bois, tout ce paysage de France redevenu si calme et où ils ont traîné leurs lourdes bottes, leurs canons, leurs convois, nous semblent plus chers encore. On songe au mot de Flaubert, à ces lieux si beaux qu’on voudrait les serrer sur son cœur.


Voilà l’Ourcq et le canal, et les petits ponts qu’ils ont essayé de faire sauter : Et voilà Lizy. Nous stationnons sur une place, devant une boutique à devanture rouge : Gombault, épicier ; volets clos. Un voisin, mécanicien, chez qui l’on a pillé les bicyclettes et cassé les vitres, nous invite : « Entrez, ça vaut la peine ! »

Il nous conduit par un couloir d’arrière… L’humble débit est un amas de choses innommables ; denrées éventrées, bouteilles brisées, paquets en lambeaux, tiroirs vidés pêle-mêle… Dans la chambre du haut, même saccage ; des armoires forcées et des commodes ouvertes dégorge le fouillis des nippes arrachées, piétinées. Les meubles sont en morceaux, les cadres disloqués, et partout l’odeur ignoble, le relent excrémentiel. La voisine nous montre des lambeaux d’une robe de soie rose, exprès choisie. On a eu beau ouvrir les fenêtres, depuis… c’est à