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la France a gardé son idéal de justice et de liberté, adopté par nous depuis deux cents ans, idéal qui nous rattache par elle à la glorieuse tradition gréco-latine, à la civilisation, à l’humanité, tandis que l’Allemagne a renié son idéal d’autrefois pour adopter celui de la force, de la domination brutale et d’un grossier matérialisme intellectuel. Le Christ a dit : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de la Parole de Dieu. » On pourrait ajouter : les nations ne vivent pas seulement de charbon et de fer, mais aussi de sentiment et de pensée. Nous ne renions aucune des idées fécondes que nous a léguées le passé, qu’elles nous soient venues d’Allemagne ou d’ailleurs, mais comment oublierions-nous la France, qui nous a donné la conscience de nous-mêmes en nous enseignant la liberté qu’elle a enseignée au monde ? La question politique n’est que la surface des choses, mais la question de notre autonomie intellectuelle est une question de vie ou de mort. Elle touche à l’intégrité de notre âme et de notre intelligence. Il s’agit pour nous d’être ou de n’être pas[1]. »

IV

LA RUÉE DU PANGERMANISME

Ce sont les Allemands qui ont inventé le terme de « psychologie des peuples, » Voelker psychologie, mais il semble que ce fut uniquement pour démontrer aux autres nations leur écrasante supériorité. La croissance rapide de l’orgueil allemand, poussé aujourd’hui jusqu’à la démence, offre un cas extraordinaire de contagion mentale et de suggestion collective. Nous avons assisté à l’empoisonnement moral de tout un peuple. La responsabilité en remonte, en premier lieu, à ses gouvernans, à la dynastie des Hohenzollern et à la caste militaire des hobereaux prussiens qui lui sert d’appui ; en second lieu, aux guides intellectuels de la nation, aux professeurs d’université qui, depuis quarante ans, ont perdu toute indépendance et se sont faits les plats valets du militarisme prussien, foulant aux pieds, avec une inconscience superbe ou une hypocrisie profonde, non seulement le noble idéal humanitaire des Gœthe et des Schiller,

  1. Cahiers alsaciens, janvier 1914.