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L’ALSACE FRANÇAISE.

aussitôt, au-dessus de leur propre affranchissement, elles virent flotter l’image d’une humanité plus haute, unie par les liens de l’Âme et triomphante par la loi de l’Esprit.

Le grand fait spirituel de cette guerre est d’avoir arraché tous les masques. L’âme nue des peuples s’est échappée de ses cavernes. Aux bonds de tigre de l’Autriche et de la Prusse, le lion belge et le lion d’Angleterre se sont dressés sur leurs pieds, d’un geste héroïque et sublime. À la voix du tsar magnanime, la Pologne réveillée a sorti la tête de son tombeau, et la France, qui retrouva en vingt-quatre heures son âme tout entière, a vu surgir autour du champ de bataille européen les génies inspirateurs des nations. Les alliances se nouent pour d’autres raisons qu’autrefois. Souverains et peuples parlent un langage nouveau. Les raisons déterminantes ne sont plus des raisons d’ordre matériel et particulier, mais des raisons d’ordre moral et universel. Le danger qui fait sortir les épées des fourreaux n’est plus un danger national, mais un danger européen et mondial. De là ce nouveau sentiment de solidarité qui court comme une étincelle électrique à travers toutes les nations indépendantes. Ce qui rassemble, à l’heure actuelle, les Serbes et les Belges, les Russes, les Français et les Anglais en un même élan, c’est la certitude qu’en se battant contre l’Autriche et l’Allemagne ils défendent l’indépendance de l’Europe en même temps que la leur. En ces derniers temps, les publicistes allemands ont souvent reproché à la France et à la Russie d’ourdir contre l’Allemagne une tentative d’encerclement. Est-ce que, par hasard, à une Triplice menaçante et tracassière, on n’avait pas le droit d’opposer une modeste Duplice ? Vraiment l’Allemagne a joué trop longtemps le rôle du loup de la fable qui accuse l’agneau de troubler le cours de son ruisseau pour avoir un prétexte de le dévorer. Si aujourd’hui il y a encerclement contre l’Allemagne, c’est le cercle des peuples libres qui se dresse par la force du droit contre le droit usurpé de la force brutale. Ils savent que s’ils n’avaient pas le courage de le faire, le militarisme prussien asservirait le monde sous son joug de fer et tuerait l’humanité au cœur des peuples, comme il l’a déjà tuée au cœur de l’Allemagne.

De cette ligue spontanée, conclue au fort de la détresse, on peut espérer, à l’issue de la lutte, non seulement un remaniement de la carte européenne, mais encore la constitution d’une