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n’avait fait qu’obéir à cette sorte d’obligation morale que les Japonais appellent le giri et dont le respect est très fort chez eux ; enfin il sait que l’amiral français s’opposa nettement à ses deux collègues allemand et russe, qui voulaient bombarder la flotte japonaise. Au souvenir toujours cuisant de la violence qui lui avait été faite s’ajoutait celui du fameux barbouillage où le Kaiser avait essayé de peindre un Saint Georges prussien tombant, la lance en arrêt, sur le Péril Jaune incarné dans un dragon. Ce tableau avait été trouvé d’aussi mauvais goût par les Japonais que par tous les peintres, même allemands. Il offensait également l’esthétique et la diplomatie. Quinze ans après, le dragon, allongeant sa tête du côté de Tsing-Tao, brûlait d’y répondre.

Durant ces quinze années, les Japonais, — qui manquent parfois de sens critique, mais qui n’en manquent pas plus que beaucoup d’Européens, et dont la force de résistance à toute influence susceptible de les déjaponiser leur permet d’en manquer, — s’imaginèrent qu’ils retireraient de la culture allemande des bienfaits inappréciables. Ils se mirent à l’école des Allemands. Du reste, l’idéal en quelque sorte messianique qu’ils se proposent étant d’élaborer une civilisation où l’âme orientale et l’âme occidentale harmonieusement fondues donneraient le ton à l’univers, il leur était indispensable d’assimiler les vertus germaniques. Je montrerai un jour que cet essai d’assimilation ne fit que jeter dans leur esprit un brouillard heureusement passager. Les méthodes allemandes ne sont point vraiment éducatrices. Elles ne favorisent que la médiocrité. Mais leurs intellectuels avaient beau les adopter : aucune reconnaissance ne les liait à un pays qui ramène tout, et même la science, au point de vue commercial et industriel.

Ils en étaient avertis ; et, s’ils ne l’avaient été, un récent scandale, que leur politique de clans avait démesurément amplifié, leur eût ouvert les yeux sur les dangers que l’on court à trop fréquenter les Allemands. Ce n’est pas le moment de raconter cette histoire retentissante. Je n’en veux retenir qu’un trait. La maison Siemens-Shuckert, qui fournissait à la marine japonaise des appareils électriques, fut convaincue d’avoir versé à de hauts personnages des pots-de-vin considérables. D’autres maisons européennes (pas françaises) avaient suivi son exemple. Mais ce qui aggravait le cas de la maison