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pouvaient évidemment pas remplacer le haut sentiment de la patrie qui anime les vieux peuples vraiment unifiés par l’histoire. L’âme belge, pour la plupart des Belges, n’était guère qu’un thème de discours officiels. Le respect un peu ironique qu’on témoignait à ceux qui cherchaient à la définir ou à en propager le culte, ne pouvait arrêter les flamingans intransigeans qui, dans leur particularisme étroit, rêvaient d’extirper la culture française des provinces flamandes, non plus que les intransigeans wallons, qui, dans la violence de leurs ripostes, allaient jusqu’à méconnaître aux Flamands le droit de cultiver et de propager leur langue. Avant la guerre, en somme, il y avait en Belgique les élémens d’une nationalité, les élémens d’un sentiment patriotique, mais tout cela manquait de cohésion et de netteté : c’est la guerre qui aura créé l’âme belge, illustrant une fois de plus d’un magnifique exemple la pensée de Renan que, pour la formation d’une patrie, les douleurs valent mieux que les gloires. Devant leurs campagnes ravagées, devant leurs villes incendiées, devant leur territoire envahi par l’ennemi, Flamands et Wallons se sont sentis tout à coup passionnément, unanimement Belges, et, par une intuition immédiate et profonde, ce sentiment nouveau, ce sentiment de la patrie enfin clair et impérieux comme un devoir religieux, ils l’ont tous incarné dans la personne du Roi. « Le Roi, la Loi, la Liberté, » dit un vers médiocre de la Brabançonne. Pour la plupart des Belges, ce n’était là qu’un refrain, tout au plus une devise : c’est maintenant une maxime sacrée. Heureuse fortune pour un prince de grouper autour de lui, de réunir en lui toutes les forces morales de sa nation ! Dangereuse fortune aussi ! Mais, comme s’il avait été averti par un instinct secret,.il semble que le roi Albert s’y était préparé. Il s’y était préparé en développant, en cultivant en lui une minutieuse conscience professionnelle qui, sans doute, risquait de n’avoir à s’exercer que sur de petites choses, mais où il a pu trouver, dans des circonstances tragiques, les élémens d’un magnifique héroïsme.


Quelques mois avant la guerre, j’eus l’honneur d’avoir une longue conversation avec le Roi des Belges, conversation qui n’était destinée à aucune publicité, mais dont certains détails me paraissent pouvoir être divulgués sans inconvénient. Elle