Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/329

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sur le résultat, tout le monde s’accorde. Les jeunes gens savent-ils davantage et surtout savent-ils mieux les sciences ? Ce n’est l’avis ni des professeurs de sciences chargés de compléter leur éducation scientifique, ni des industriels consternés qu’au lieu d’ingénieurs il leur arrive aujourd’hui des contremaîtres. Ils ne savent plus le grec et le latin, et peut-être en prenez-vous aisément votre parti ; mais ils ne savent plus le français. D’un bout à l’autre de la hiérarchie universitaire, et qu’il s’agisse des devoirs de classe, des copies de baccalauréat ou des épreuves d’agrégation, tous les examinateurs, tous les jurys s’accordent à reconnaître que les compositions prétendues françaises sont lamentables : on ne sait plus composer, ordonner un sujet, subordonner des idées ; nul souci de la forme, une rédaction quelconque, ni précision dans les termes, ni goût, ni mesure, ni style. C’est ce qu’on a appelé la « crise du français. » La formule ayant défrayé beaucoup d’enquêtes et d’articles de journaux, les représentans de l’enseignement officiel ont affecté de n’en pas tenir compte. Mais l’heure n’est plus à ces dédains transcendans. Trêve de sourires et d’ironies ! Tout se tient, les idées et les mots. La langue d’un peuple reflète son âme. Quand le langage s’altère, il y a lieu de s’inquiéter, de remonter aux causes du mal et de chercher si le cerveau lui-même ne serait pas atteint. Quand on écrit moins bien le français, c’est qu’on pense moins français.

Tel est justement le cas : ce qui a faussé, altéré, vicié, notre enseignement à tous ses degrés, c’est une infiltration d’esprit étranger. Un mot a servi de paravent : la science. A la conception artistique et littéraire des anciens âges il s’agissait, disait-on, de substituer la conception scientifique qui est celle des temps modernes. Rien de plus vague et de plus décevant. Qu’on eût supprimé le grec, le latin, les lettres françaises, et qu’à leur place on eût inscrit partout l’arithmétique, la géométrie, la physique et la chimie, la mesure pouvait être absurde, mais elle était nette : elle avait un objet précis ; on savait à quoi s’en tenir. Au lieu de cela, et par un singulier compromis, on a prétendu conserver l’enseignement littéraire, à la condition de lui appliquer des méthodes scientifiques. Enseigner scientifiquement la littérature, tel a été le mot d’ordre. Exemples. La grammaire est la science du langage : le brillant rhétoricien a vécu, fabriquons de bons grammairiens. L’histoire des batailles n’est pas scientifique : remplaçons-la par l’histoire des institutions. Je n’insiste pas : nous voyons trop que les |batailles sont quelque chose et que sans elles les institutions seraient peu de chose. Faire.passer dans un jeune