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volonté et complète absence de parti pris, l’examen de conscience que réclament d’elle les circonstances présentes.

La civilisation ou la « culture » française, nous en avions toujours été enveloppés comme de notre atmosphère naturelle : nous ne nous demandions même pas en quoi elle consistait. Nous la respirions dans l’air : nous ne songions pas à l’analyser. Il nous suffisait d’en jouir, d’en goûter la noblesse et d’en savourer la douceur. Mais du jour où nous avons pu craindre de la perdre, nous avons porté sur elle des regards de clairvoyance et d’amour. Ce qui la caractérise, c’est son idéalisme. Elle résume le long travail et l’effort continu que l’homme a fait à travers les siècles pour s’élever au-dessus de lui-même. Aux civilisations antiques elle a emprunté ce qu’elles avaient de plus pur ; à leur héritage pieusement recueilli elle a joint le trésor de la pensée et de la sensibilité chrétiennes, et elle les a conciliés. Elle n’a rien ignoré, rien négligé, rien laissé perdre de tout ce qui, ; dans le monde moderne, a été pour l’homme un accroissement de dignité. Elle est très française, parce qu’elle sait le prix de ces vertus que rien ne remplace : l’amour de la patrie, l’attachement au sol natal, la tendresse familiale, la gratitude pour le passé, le respect de la tradition. Mais elle n’est si française que pour mieux mériter le droit d’être largement humaine.

Cette culture a trouvé son expression dans un enseignement : celui, qui porte le nom de classique. Est-il besoin de définir cet enseignement, plusieurs fois séculaire, et qui est le type même de l’enseignement français ? Avant tout, il est un enseignement de culture générale. Et ce mot doit s’entendre en un double sens. cette culture est générale parce qu’elle donne à l’esprit des clartés de tout ; elle est générale parce que les connaissances qu’elle embrasse sont celles qui doivent être communes à tous. Cet enseignement met à sa base l’étude des langues et des littératures anciennes. Car il est impossible de bien écrire et même de bien parler le français si. on ignore le latin, et de l’écrire ou de le parler avec un certain degré de délicatesse et de pureté si on ignore le grec. Les langues anciennes ont cet avantage, entre plusieurs, qu’elles sont une barrière contre l’invasion des langues étrangères modernes, au contact desquelles un esprit encore. tondre risquerait de se déformer. Elles mettent à notre disposition le patrimoine de littératures qui ont réalisé la perfection. Elles nous introduisent ainsi naturellement dans notre propre littérature, qui, sans elles, serait inintelligible et nous deviendrait à nous-mêmes une littérature étrangère.