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navré et saignant. L’ami qui vous remettra ces quelques mots écrits à la hâte est un de mes compagnons d’armes auquel vous pouvez avoir toute confiance.

« Je vous salue bien cordialement et espère vous voir bientôt. — CLESINGER. »

Cette lettre était précédée d’une dépêche, lancée le même jour de Bordeaux, à 3 heures, ainsi conçue : « Je reçois lettre de Solange ; vais à Cannes. Vous supplie de quitter Nohant avec tout votre monde ; vous envoie un ami fidèle qui vous aidera dans ce triste devoir. — CLESINGER. »

L’ami fidèle en question, un officier polonais, arriva à Nohant plus tôt que la lettre et peut-être même que la dépêche. Il se présenta chez George Sand, le 15 décembre, et, ne la trouvant pas, entra au cabaret du bourg, d’où il lui écrivit, — d’une écriture élégante d’ailleurs, — le billet suivant :

« Au Bouchon. Nohant ce 15 décembre 1870. — Mr Stefan Poleski, aide de camp commandant le corps Franco-Polonais a l’armée des Vosges (Légions Garibaldiennes) présente ses respectueux complimens à Madame George Sand ; il lui demande la faveur d’un entretien de dix minutes. »

Cet entretien ne fut jamais accordé, et c’est ainsi que se termina cet épisode curieux, mais plutôt héroï-comique : voit-on George Sand empiler ses hardes sur une charrette et s’enfuir avec un lieutenant polonais, à la requête de son ex-gendre, pris subitement d’un bel accès de sauvetage envers « madame sa mère ? »

L’intention du sculpteur, en qui l’ancien soldat s’était réveillé lors de nos désastres, n’en est pas moins fort louable. Ajoutons, pour tout éclaircir, que Clésinger avait levé un corps franc à Besançon à ses frais, s’était ruiné à l’équiper, et l’avait vu fondre en deux rencontres autour de Beaune-la-Rolande. Sur ces entrefaites, il avait écrit à Solange une lettre qui tenait de l’adieu et du mea culpa, et dont Solange avait été fort touchée. En retour, elle l’invita à venir se reposer un peu à Cannes, et, durant ce bref passage, il fut, dit Solange (qui s’y connaissait et surtout qui le connaissait), « bien et convenable. » Réciproquement sans doute, Clésinger, avec ses à-coups de cuirassier, voulut faire un geste chevaleresque vers la mère. Mais le silence seul lui répondit de ce côté. Solange le pressentait bien. Le 22 décembre, elle écrivait à sa mère : « J’ai reçu de Bordeaux