Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des profondeurs du sol une source pour son bétail altéré.

Mais toutes ses pensées ne sont pas à la Cincinnatus. Elle est courageuse, non stoïque. La femme se trahit à ces lignes, adressées à Flaubert encore, le 15 août : « J’ai le cœur faible, moi ; il y a toujours une femme dans la peau du vieux troubadour. Cette boucherie humaine met mon pauvre cœur en loques. Je tremble aussi pour tous mes enfans et amis qui vont peut-être se faire hacher. Et pourtant, par momens, mon âme se relève et a des élans de foi ; ces leçons féroces, qu’il nous faut pour comprendre notre imbécillité, doivent nous servir. Nous faisons peut-être notre dernier retour vers les erremens du vieux monde. Il y a des principes nets et clairs pour tous aujourd’hui, qui doivent se dégager de cette tourmente. Rien n’est inutile dans l’ordre matériel de l’univers. L’ordre moral ne peut échapper à la loi. Le mal engendre le bien. » Ainsi, même du fond de l’abîme, George Sand crie vers la lumière, de la mort vers la vie. Sa vieillesse consolide l’optimisme de sa jeunesse et de sa maturité ; sa foi reste entière. « Désolée, non abattue, » écrit-elle à Harrisse.

En attendant, ce qu’elle voit de plus clair, c’est que, quelle que soit l’issue, l’Empire est fini. Elle écrit le 18 août, au prince Jérôme : « Sachez bien que la République va renaître, et que rien ne pourra l’empêcher. Viable ou non, elle est dans tous les esprits, même quand elle devrait s’appeler d’un nom nouveau, j’ignore lequel[1]. »

Quinze jours après, la République était en effet proclamée, et la républicaine ne pouvait pas ne pas s’en réjouir. Le S septembre, elle écrit à Plauchut : « Quelle grande chose, quelle belle journée au milieu de tant de désastres ! » Mais elle ajoute aussitôt dans une lettre à Mme Edmond Adam : « Oui, oui, ayons au moins un jour de bonheur au milieu de nos désespoirs. Vive la République quand même ! A présent, il faut reconquérir la patrie[2] ! »


Reconquérir la patrie ! Ce vœu ardent ne fut pas exaucé. La série des désastres continua, trop présente encore à toutes les mémoires. Après Sedan, ce fut Strasbourg ; après Strasbourg,

  1. Corresp., VI, p. 15.
  2. Ibid., p. 30.