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si étrange de l’Allemand : un homme comme un autre quand il désarme et « en action » un homme qui remplit un terrible sacerdoce, auquel tout est permis. Il n’a qu’un mot : « C’est la guerre ! »… Mais je reviens à l’aspect de la ville.

Nous arrivons rue de la République. Jusqu’au faubourg Saint-Martin, ce n’est qu’un immense brasier. A droite et à gauche, nous sommes « inondés » de lumière par les maisons qui flambent, crépitent, s’écroulent. Par les vitres brisées je vois les meubles qui flambent, les cheminées qui tombent ; la maison si jolie et si joliment meublée des Lafond, hélas ! tout en feu ; les rares magasins dont les marchandises crépitent. A gauche, sur les remparts, une grande lueur : on m’a dit que c’était Villemétrie qui flambait. Je ne suis pas encore fixé sur cette nouvelle. Je crois pouvoir espérer qu’elle est fausse ou, du moins, si nous sommes brûlés, c’est depuis, car on m’a dit que nous avions eu seulement nos vitres brisées par les obus.

Notre conducteur se fait un plaisir de nous montrer avec admiration les flammes partout. Il s’excite, nous demande des choses que nous ne comprenons pas ; nous montre une maison qu’il a brûlée lui-même, une grande auto qui git, lamentable, sur la voie. — « Franzosen ! » crie-t-il, en rôdant autour comme un jeune loup apaisé, mais prêt à montrer les dents ; — nous fait signe d’entrer en avant dans une auberge toute noire épargnée par les flammes ; nous demande, — en vain, bien entendu, — des allumettes et cherche quelque chose parmi les titres et ailleurs. Je crois bien que ce qu’il cherche, c’est un litre de pétrole, car il ne boit rien et ils ont ordre d’incendier. — Plus loin, dans un petit intérieur coquet, éclairé encore, — ironie, — par le gaz allumé, il nous fait encore entrer. On se demande ce qu’il veut. M. C. lui montre que les murs sont en flammes et que le plafond pourrait bien s’écrouler ; il n’en a cure ; tranquillement il vide le bureau et il prend une lorgnette, puis il nous dit : « Gut ! Gut ! » en la braquant sur le brasier. — Il ralentit beaucoup sa marche, musarde ; M. C. croit bien que nous ne reviendrons pas. Quant à notre homme, il est un peu gris, je crois… Que fera-t-il de nous, une fois à l’hôpital ? Parmi les hypothèses, la plus pénible serait pour moi la pensée d’être, avec force mauvais traitemens, emmené prisonnier ; mais… le vin est tiré ! Assez fataliste, je suis la destinée. Nous marchons depuis 15 ou 20 minutes. Maintenant il y a des choses noires