Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inoffensif contact avec les canons prussiens ; il aura d’autant plus de valeur que ce sont ici les premières pièces que nous ayons prises à l’ennemi dans cette guerre. L’officier qui les garde veut bien accéder à mon désir, et j’emporte comme un trésor, d’une part un morceau tout troué de balles du fanion jaune et rouge de la batterie ; d’autre part, une de nos bonnes balles D, toute tordue et meurtrie, que j’ai réussi, avec beaucoup de mal, à extraire du moyeu de la roue d’un canon où elle s’était incrustée, après avoir brisé et traversé le revêtement de fer de la roue. Un jour, ces précieuses reliques dûment étiquetées et encadrées orneront mon cabinet de travail…, si Sa Majesté le Hasard veut bien me prêter vie.

Après quelque arrêt, les pièces prussiennes continuent leur route vers Belfort, où elles resteront, me dit-on, exposées plusieurs jours devant le Lion. Nous voyons plusieurs fois, cette matinée-là, défiler des aéroplanes très haut au-dessus de nous. Quelle est leur nationalité ?

Je suis chargé d’inventorier et de traduire les papiers laissés par l’administration allemande à Soppe-le-Bas et qui se trouvent dans les locaux qui servaient à la fois, comme dans beaucoup de villages là-bas, de bureau de poste et de bureau de contributions. C’est là que résidait, avec sa femme, l’unique immigré de la localité, le fonctionnaire de l’endroit. Il a laissé son logement et ses bureaux dans un désordre inexprimable ; j’y trouve, au milieu des escaliers et des couloirs, des malles à moitié remplies ; les lits sont défaits, les placards sont tous ouverts, par terre traînent des objets de toilette, du linge de femme qui n’a pas le chic parisien. On devine que la fuite de ceux qui représentaient ici le pouvoir impérial a dû être précipitée. Dans le bureau de poste, où il reste pour des centaines de francs de timbres neufs, j’inventorie rapidement les papiers de service ; je trouve plusieurs notes manuscrites, provenant de Karlsruhe et prouvant qu’à la fin juillet, toutes les mesures étaient prises et les ordres donnés en vue de la mobilisation. Je trouve aussi, datées de juillet, des instructions précises concernant la conduite à tenir en cas d’attaque de l’ennemi : — l’ennemi, c’était nous, dès lors ! — Dès la réception de ces instructions, les employés ne devaient plus conserver dans leur caisse de sommes ou de valeurs supérieures à 50 marks, sans les envoyer immédiatement et au fur et à mesure qu’elles atteignaient ce chiffre, à