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MM. M… et C… disent qu’on va bombarder le quartier ou la cathédrale et que le maire recommande aux rares habitans de se cacher dans les caves ou dans les souterrains de Saint-Vincent, ou de gagner la route de Chantilly. — Les coups se rapprochent. Nous allons à Saint-Vincent. Ça se rapproche encore. Nous nous asseyons sur un banc. Ça siffle, mais on ne voit rien. — Nous allons au souterrain ; puis l’attrait absurde de courir un danger, puisque je ne vais pas au feu, d’être utile peut-être à certaines femmes affolées, ma détresse surtout d’abandonner mon chien Renaud, la seule chose vivante qui soit un peu à moi, m’engage à retourner au Tour-de-Ville sous le ciel magnifique et le soleil éclatant.

J’apprends qu’un obus a éclaté près de l’octroi. Je me dépêche. Sous le cours j’entends un autre coup, puis un autre et les sifflemens majestueux qui précèdent l’éclatement. Quelque chose tombe pas loin de moi. Ça fait voler la terre, casse une grosse branche ; un petit caillou me gicle dans l’œil.

C’est le bombardement… J’ai envie d’hésiter, mais je continue. Renaud ! puis la ténacité et le goût humain des émotions. Ça continue aussi et je me demande si je resterai dans ma petite maison… mais on s’inquiétera… et puis si seul ! J’arrive chez moi, Renaud lui-même n’y est plus. Je traverse à nouveau les promenades désertes. — Un autre sifflement au-dessus de moi. C’est beau et long, ces sifflemens, car on se demande toujours où « ça » va tomber. Je me colle contre un arbre. — Rue Saint-Pierre, un autre coup. — Quelques houzards au grand trop me font signe de rentrer dans une maison. — Un autre coup, je crois ? J’entre un moment chez Rozycki. — « Y a pas de danger dans le quartier, » me dit-il, — mais un peu plus tard, dit-on, un obus tombait devant chez lui. J’arrive à Saint-Vincent en rasant les murs. Cela me paraît long. Un dernier coup me colle le visage au coin d’un mur rue de Meaux, car… j’ai peur… Quelques ouvriers circulent encore dans la ville. L’un d’eux est tué devant la mairie. J’ai vu le sang le lendemain. — Notre pauvre cathédrale est assez endommagée, mais c’est blessures glorieuses à sa flèche,… si elle résiste.

Plus tard, M. le Curé nous dira que, du haut de sa maison, il a vu les Allemands dans la plaine viser l’église et tirer assez maladroitement (sous le fallacieux prétexte qu’une mitrailleuse les bombardait eux-mêmes, de la cathédrale.) Retour à