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dans l’appartement au-dessus de nous ; elle laisse trois petits enfans, un mari désolé ; on l’enterre cet après-midi. Clouées que nous sommes à notre fenêtre, nous n’échappons pas à la vue de ce cercueil, de ce corbillard ; ce spectacle vaut à la Reine une crise douloureuse dont l’impression ne se dissipe que lentement. Le soir venu, elle demande pour se distraire à voir deux gentils petits garçons, enfans de la maison, qui l’avaient amusée dans la matinée. La mère, flattée, se présente à son tour, avec deux petites filles jolies à ravir. Nous comptons entièrement sur Charles et sur Fritz, à qui il a été recommandé d’une manière expresse de se tenir dans l’antichambre jusqu’à l’arrivée de M. d’Houdetot. Ils savent que j’attends une visite et qu’ils doivent m’avertir avant d’introduire le visiteur. Cependant ces messieurs, pensant probablement qu’ils peuvent en user à leur aise envers une personne qui ne vient que pour moi, se sont écartés chacun de son côté. Nous sommes occupés à jouer avec ces enfans quand un domestique de l’hôtel ouvre avec fracas la porte, en annonçant : « M. le comte d’Houdetot ! »

Ace nom, la Reine s’élance dans sa chambre, le Prince disparait dans la sienne, sans être aperçus par M. d’Houdetot, qui s’avance incertain, au milieu de ces visages étrangers. Je marche droit à lui, afin de fixer son regard sur moi. Je lui dis que j’ai eu le plaisir de recevoir sa réponse, que je le remercie d’avoir pris sur ses occupations le temps de cette visite, et qu’ayant beaucoup de choses à lui dire, je le prie de me suivre dans la pièce voisine.

Je l’y conduis, une bougie à la main. Comme la Reine est au fond, dans les ténèbres, il ne la voit pas tout de suite, mais fait en la reconnaissant un tel cri et un tel saut qu’il faut se louer que la scène n’ait pas eu d’autres témoins que moi. Heureusement une porte nous sépare de la maîtresse de la maison et de ses enfans. Je reviens à cette dame qui doit me juger peu conséquente dans ce que je dis et ce que je fais ; mais, comprenant qu’elle est de trop, elle se retire et nous laisse, le Prince et moi, rire comme des enfans de cette aventure. Je le repousse dans sa chambre, pour que sa présence reste en tout cas ignorée de M. d’Houdetot : il importe que la Reine soit la première à en instruire le Roi.

Tout s’est passé à souhait entre elle et son interlocuteur. Elle apprend que la fable courante, à Paris, est celle de son