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des postes et télégraphes ; — stupéfaction et congratulations réciproques, et chacun repart de son côté ; — je passe aussi sur les aéroplanes rencontrés qui circulent par instant au-dessus de la route, — c’est peut-être à eux qu’en voulait l’obus de tout à l’heure. — A Cernay pas plus qu’en d’autres villages, on n’a entendu parler du détachement que je cherche.

Enfin, entre Cernay et Mulhouse, dont les longues cheminées apparaissent au loin, je finis par découvrir une petite auberge dont le patron interrogé socratiquement, moitié en allemand, moitié en français, me donne des renseignemens qui identifient avec certitude ceux que je cherche et la direction qu’ils ont prise le jour même, avec un convoi qui est passé là. Content d’avoir réussi, il ne me reste plus qu’à réintégrer Soppe-le-Bas, ce que je fais en grande vitesse, car la nuit n’est pas loin. J’y arrive fourbu, mais satisfait, ayant fait environ 35 kilomètres en deux heures, au grand dommage des paturons de ma monture. Ce premier contact réel et un peu étroit avec l’action m’a fait plaisir, mais j’en ai gardé une certaine horreur de l’isolement en campagne. Il me semble qu’un petit danger couru seul doit être plus désagréable qu’un danger dix fois plus grand affronté avec un seul camarade. C’est certainement cette constatation cent fois faite, non moins que le souci de la sécurité réelle des troupes, qui fait qu’en campagne, on double généralement les sentinelles.

Après la soupe, des braves gens du village s’emparent de nous pour nous offrir le café avec accompagnement de quetsch et de kirsch de derrière, les fagots, car, comme chacun sait, il n’est point pour la plupart des gens de meilleure façon de se réjouir qu’une ingurgitation d’alcool.

A la nuit tombée, passe un long convoi avec au moins 4 ou 500 de nos blessés venant de Dornach. Le ciel est superbement étoile. Je réintègre vers huit heures le logis du brave homme qui m’a offert un matelas, ma foi, fort délectable. Quand je dis huit heures, j’entends parler de l’heure française que marque déjà, par je ne sais quel miracle, le clocher du village, tandis que les montres des habitans du village marquent neuf heures, heure de l’Europe centrale. J’ignore si l’état-major s’est préoccupé de cette question du changement d’heure légale ; mais il y aura certainement lieu, si nous pénétrons plus avant en Allemagne, de prendre à ce sujet des décisions précises pour éviter des