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aucun visa. Fritz, à qui l’on avait fait la leçon, répondit que nous étions partis le 11 mars par la porte d’Arezzo pour voir le pays de ce côté et que nous avions fait depuis un séjour à la villa Fenzi. A la question : pourquoi nous avions voyagé la nuit ? il répondit que les chevaux nous avaient manqué hier à cause du voyage du grand-duc. Ces explications furent trouvées satisfaisantes et l’on ne jeta pas même un coup d’œil dans nos voitures, tant le nom anglais inspire en Italie de considération.


Gènes, dimanche 10 avril.

Le médecin était si rassurant sur le cas de M. Zappi et la rougeole est si bénigne d’ordinaire pour les Italiens, que la Reine a préféré quitter vendredi Lucques en donnant rendez-vous au malade pour le lendemain à Pietra Santa. Elle lui laissa Fritz, avec la seconde voiture, et nous nous emballâmes tous dans la première à dix heures du matin.

Un temps ravissant, des sites enchanteurs nous ont conduits en trois heures au terme de cette courte étape. Elle nous ramenait à la pensée douloureuse qui doit désormais s’offrir sans cesse à l’esprit de la Reine, maintenant que le souci d’un danger constant ne l’absorbe plus. Pietra Santa est tout près de Serravezza, où le prince Napoléon avait sa papeterie. Il était touchant d’entendre l’hôtelier demander à Charles si nous n’irions pas visiter ce joli site et y recueillir les souvenirs que laisse derrière lui un prince si bon, si populaire, si prématurément enlevé à l’affection des Italiens. Cette promenade était en effet dans les projets de la Reine. Elle hésitait cependant à l’entreprendre, sentant sa faiblesse, et c’est sur les instances de son fils que, vers quatre heures, nous nous mimes en chemin.

Le malaise de migraine que j’éprouvais encore ne me permit que de faire quelques pas avec eux et m’obligea bientôt à m’asseoir. Je rentrai dans ma chambre ensuite, en rencontrant à chaque instant des paysans ou des enfans dont l’air joyeux contrastait avec la tristesse de la Reine et de son fils. J’avais à recopier la notice qu’elle veut faire imprimer en France, et à écrire à mon père sur ce sujet. Ces écritures m’occupèrent plusieurs heures, sans que les promeneurs eussent reparu. Dès que je ne fus plus distraite par mon travail, leur longue absence me tourmenta vivement. J’ai voulu envoyer Charles à leur rencontre ; il chercha une voiture, n’en trouva pas, et