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qu’une chaumière orientale quelconque, mais dont la fabrique intérieure n’est du moins ni de nos pays, ni de notre temps. On y pénètre par une porte, on en sort par une autre placée juste en face. Un autel tout resplendissant d’or et chargé d’ex-votos en occupe le milieu ; il cache une petite cheminée rustique, au coin de laquelle on s’imagine assez aisément la Vierge assise, allaitant l’Enfant Jésus.

La prière de la Reine avait été fervente, mais courte ; il importait de rejoindre au plus tôt nos voitures et d’abréger par la vitesse de notre marche les angoisses de ce périlleux voyage. Nous ne tardâmes pas à apercevoir les soldats débandés de l’armée de Sercognani, tous beaux, jeunes, intéressans : enfans de bonne famille tombés pour la plupart dans la misère, ils paraissaient navrés de fatigue et de douleur. Les uns à pied, les autres assis sur de mauvaises charrettes, ils dévisageaient la Reine au passage. Comme elle s’était munie de piastres au départ, elle en tenait sa main pleine et les leur présentait ouverte. Mais aucun ne vit ce secours offert ou ne voulut le voir. Nos deux fugitifs, qui s’étaient trouvés au milieu de ces jeunes gens pendant de longs jours, les nommaient tout bas entre nous.

Plus loin, dans un détachement qui marchait en troupe, nous rencontrâmes Pieoni, ce malheureux réfugié qu’à Rome nous appelions Fido. Sa position présente était affreuse ; il avait reconnu Charles, passant au galop, et guettait les voitures. Il s’accrocha désespérément à celle de la Reine, dans l’espoir d’y monter encore une fois, et cria : « Arrêtez !… Par pitié ! » La Reine lui donna vingt piastres et l’écarta bien vite, de crainte qu’il ne reconnût son fils assis derrière elle. Il demanda encore à Fritz, au moment où la seconde voiture le dépassait, si le Prince n’était pas là.

Tolentino regorgeait d’Autrichiens qui, ne trouvant plus de place dans les maisons, faisaient cuire leur soupe dans la rue. Un officier et l’agent municipal vinrent, avec de grandes salutations, demander notre passeport, dont la vue redoubla leur considération. Enfin au ponte della Trave, nous dépassâmes la dernière avant-garde autrichienne en marche vers Foligno. Désormais nous en avions fini avec le risque de fusillade que la proclamation du prince de Bentheim suspendait sur la tête du prince Louis ; mais, ce danger quitté, nous en retrouvions