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par les armées du Tsar ; nous ne voyons pas que les armées russes s’apprêtent en 1915 à la même besogne.

Il est vrai que la haine et la défiance du Russe est pour certains des peuples danubiens un forment très actif de fidélité dynastique. Ce qu’était jadis le Turc, dans le cœur et les craintes de tous ces chrétiens, c’est le Russe qui l’est aujourd’hui dans les cœurs et les craintes des Magyars, des Juifs, des Allemands et de l’aristocratie polonaise. Allemands, Polonais, Juifs et Magyars sont les quatre bénéficiaires du présent état de choses : Allemands et Magyars sont les titulaires de la raison sociale Autriche-Hongrie ; les aristocrates polonais récoltent les bénéfices en honneurs, charges et pouvoirs, et les Juifs, en argent. La haine commune du Russe cimente autour du trône l’association que crée entre ces quatre participans la solidarité des intérêts.

Les sentimens des Magyars, des Allemands et des Polonais et leur rôle dans la monarchie sont trop connus pour que M. Steed s’attarde à nous les décrire. Mais il a consacré, aux Juifs un long, très long chapitre, et c’est l’un des plus nouveaux et des plus instructifs de son ouvrage.

« Parmi les peuples de l’Autriche-Hongrie, le peuple juif occupe, dit-il, la première place : numériquement, ils sont moins considérables que les Allemands, les Magyars, les Tchèques, les Polonais, les Ruthènes, les Serbo-Croates et les Roumains ; avec leur total de deux millions trois cent mille âmes, ils ne surpassent que les Slovènes et les Italiens ; mais aux points de vue économique et politique et comme influence générale, les Juifs sont pourtant l’élément le plus important de la monarchie. »

Pour la solidité de la monarchie, en effet, pour la durée de cette bâtisse féodale et dynastique, le Juif est l’une des pièces maîtresses. Plus que tous les autres sujets danubiens, le Juif constate chaque jour l’utilité économique de cet établissement. ; Groupés en une monarchie, ces peuples représentent une puissance économique qui s’effondrerait, se dissiperait en ruines et faillites, du jour où les frontières nationales, disloquant le syndicat douanier, donnant aux Serbes et aux Italiens les ports et les rivages de l’Adriatique, couperaient de la mer la cuve continentale et ses autres peuples : entre l’Adriatique, lac italien, et la mer Noire, lac russe, quelle indépendance