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intérêts ! quel naufrage, en fin de compte, de cette bonne, douce et quiète vie à la viennoise, dont présentement jouissent les sujets bariolés du Habsbourg, les uns pleinement, les autres moins grassement, mais tous un peu !

L’ennemi commun d’autrefois, le Turc, contre lequel se fît la coalition de ces chrétientés, a presque disparu de l’horizon. Jusqu’en 1913 néanmoins, les Slaves méridionaux de la monarchie le sentaient encore sur leurs reins : ils entendaient encore l’écho de ses massacres et de ses extorsions parmi leurs frères de Macédoine, du Sandjak même, aux frontières de la monarchie ; ils en voyaient encore les coreligionnaires et les mosquées dans la monarchie même, parmi leurs frères de Bosnie et d’Herzégovine. Il a fallu les victoires serbes de 1912-1913 pour donner aux Yougo-Slaves d’Autriche-Hongrie la pleine confidence dans la déroute définitive de l’Islam et dans la capacité de leur propre race à se sauver et libérer soi-même.

Grand changement survenu dans l’esprit de tous les Yougo-Slaves et dont nous voyons aujourd’hui les effets ! Ce n’est plus vers le sauveur de Vienne, c’est vers le libérateur de Belgrade que se tournent les espoirs de tous les Slaves du Sud dans la monarchie, des Bosniaques et des Dalmates, comme des Croates, des Slovènes et des Serbes. Grand changement, mais postérieur au séjour de M. Steed en Autriche et à la composition de son ouvrage ! Il n’a donc pu nous en dire ni l’importance ni la nouveauté… Je crains bien que toutes ses conclusions et prédictions n’en soient un peu faussées. Les historiens devront toujours recourir à son livre pour comprendre ce que fut jusqu’en 1912 la monarchie des Habsbourg : je crois que les politiques auraient grand tort de s’y fier entièrement pour prévoir ce que cette monarchie peut devenir en 1915 ; la sécession morale de tous les Yougo-Slaves peut entraîner la sécession morale des Roumains et préparer, parmi les Slaves du Nord, la même sécession des Tchèques, des Moraves et des Ruthènes…

Car les guerres balkaniques de 1912-1913 ont ramené sur la monarchie des Habsbourg un troisième assaut des revendications nationalistes : la libération de la Macédoine renouvelle aujourd’hui ce qu’avaient fait, de 1792 à 1815 et de 1848 à 1849, les exemples de la France révolutionnaire ; en 1848-1849, comme aux jours de Napoléon, la monarchie ne fut sauvée que