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collection de castes internationales, et le monarque, au sommet, apparaît a tous comme la tête nécessaire d’une société où la recherche du titre nobiliaire prime toutes les autres ambitions.

« Les oiseaux, éclos dans une volière, souffrent a peine d’être enfermés, et le grillage peut servir à les protéger contre les maraudeurs, » dit encore M. Steed. Les peuples élevés depuis des siècles dans la volière du Habsbourg n’ont plus la sensation, pour la plupart, d’y être enfermés : quelques-uns en ont plutôt la fierté et, pourvu qu’ils puissent se parer de leur Maître devant le reste du monde, tous en supportent sans plainte les exigences et les fantaisies. Ils en supportent plus allégrement encore les défauts et les vices, à la condition que les uns et les autres restent d’essence royale, souveraine : les pires jeux de leurs princes leur semblent excusables et, comme un prince a le droit de manquer de conduite, de morale, de bonté et même de toutes les vertus de l’homme privé, le pire des Habsbourg semblerait encore à ses sujets le meilleur des bons maîtres, dès qu’il ne serait pas le plus indigne des rois.

« C’est un fait que le système de l’Etat autrichien convient au caractère du peuple comme un vieux soulier va au pied et, de même qu’un vieux.soulier, ne révèle ses défauts que quand le temps est mauvais. Les Autrichiens et spécialement les Viennois aiment mieux aller confortablement leur petit bonhomme de chemin et laisser l’Etat s’occuper de leurs affaires. Ils grognent et chicanent ; mais leurs murmures sont rarement sérieux. Le sérieux les ennuie et les efforts prolongés et persévérans que fait le gouvernement pour encourager les distractions et décourager le goût des recherches intellectuelles et des questions d’intérêt public, ont produit à la longue le scepticisme et l’indifférence. Pourtant, un sentiment subsiste au fond des cœurs autrichiens : le vieil orgueil impérial qui n’a jamais perdu complètement la foi aux destinées de l’Autriche et qui n’attend qu’un succès réel ou apparent pour éclater de nouveau avec toute sa force d’autrefois… »

Il se peut qu’à Vienne, où les temps sont souvent moins mauvais que dans le reste de l’Empire, où la présence de l’Empereur fait aussi que la voirie est mieux soignée, le vieux soulier ne révèle ses défauts que rarement et semble le plus souvent commode. Mais serait-il juste d’en conclure que la plupart des Autrichiens ne désirent jamais de souliers neufs ? et que leur vieil