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ne versait ni dans les descriptions géographiques, ni dans les dissertations d’histoire ; pour les lecteurs anglais, il était d’ailleurs des vérités premières dont la démonstration aurait paru oiseuse ; quand, depuis un siècle, la monarchie austro-hongroise était une pièce nécessaire sur l’échiquier britannique, comment le public anglais pouvait-il mettre en doute qu’une providence bienveillante eût, de toute éternité et pour toujours, préparé la place et assuré le maintien de cette monarchie sur le Continent ?

Les lecteurs français ont là-dessus des sentimens tout contraires : depuis trois siècles bientôt, la ruine de la maison d’Autriche est le delenda Carthago de leurs manuels scolaires.. Mais si l’on demandait à M. Steed quelques argumens à l’appui de ses dires, j’imagine que, sans peine, il en pourrait fournir d’excellens et de nombreux : il suffit de considérer une carte, de feuilleter une histoire de l’Europe danubienne.

Au centre du continent européen, à mi-distance des marécages baltiques et des promontoires méditerranéens ; au rebord oriental du grand système alpestre qui, de ses massifs, contreforts, contrepentes et péninsules allongées, fait jusqu’à l’Atlantique et jusqu’à la Méditerranée l’Europe occidentale ou, pour mieux dire, l’Europe tout court ; à l’entrée de ces plaines sans bornes qui, jusqu’au Pacifique, déroulent sur l’Europe orientale et sur l’Asie polaire leurs pâturages et leurs déserts : le bassin du moyen Danube est une cuve profonde, que sa ceinture de monts et de forêts n’a jamais pu défendre contre les attaques du dehors et vers laquelle ont toujours tendu, coulé, couru les torrens des hordes pillardes, les fleuves des tribus migratrices et les inondations des empires conquérans.

De tous les coins, de l’Ancien Monde et même de ses extrémités les plus lointaines, les humanités jaunes et blanches se sont précipitées à ce rendez-vous de batailles. Toutes à leur heure ont voulu conquérir, ont conquis et occupé ce nombril de notre continent. Du Far West européen, sont venus jadis les Celtes par la route qui ramena, depuis, les Français de Napoléon ; de l’Extrême-Orient asiatique, trois fois les Jaunes : Huns, Magyars et Mongols, ont poussé jusqu’ici leurs tourbillons de cavaliers ; du Sud-Ouest, les Romains de Trajan et, du Sud-Est, les Turcs de Selim ; du Nord-Ouest, les Germains et, du Nord-Est, les Slaves y sont venus planter les