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résolue, à la lumière des événemens : cette maladie, c’est la crise de nietzschéisme que je disais ; nietzschéisme ou mégalomanie, folie.

Je m’en rapporte au livre de Jacque Vontade : tous les signes de cette folie, en Allemagne, sont d’hier et d’aujourd’hui. La maladie ne date pas de loin. Ce sont les monumens les plus neufs qui ont ces dimensions colossales ; c’est la nouvelle vie allemande qui révèle une frénésie détestable, et non la sagesse d’un Goethe, mais la démence d’un Nietzsche.

Les résultats, Jacque Vontade, si peu disposée à dénigrer l’Allemagne, ne les dissimule point. Que de laideur accumulée en un petit nombre d’années ! Toutes les villes allemandes, un art abominable les entache de luxe dérisoire et de monstruosité rutilante, un art de nègres vaniteux et tourmentés de pédantisme. La merveille du genre, c’est, auprès de Ratisbonne, la Walhalla ou temple de l’honneur. Ce monument, déclare Bœdecker, « produit un effet surprenant, quelque idée qu’on s’en soit faite d’avance. » La Walhalla : un temple grec. Une espèce de temple grec, une manière de Parthénon : car il fallait annexer Phidias. Un Parthénon « pareil à du carton. » Là-dedans, Freya, Thor et Odin ; là-dedans, la grosse tête mécontente de Bismarck ; et des Walkyries que le sculpteur Schwanthaler a pourvues de nez grecs. Et cette Walhalla est comique : une forte cocasserie, involontaire et si prétentieuse ! Ailleurs et partout en Allemagne, une extraordinaire profusion décorative. Tout cela, en toc, en « substance agglomérée, » cimens gris et mornes : « A Berlin, dit Jacque Vontade, on a volontiers confiance en l’éternelle cohésion des choses agglomérées ; » cimens et confédérations, ô Berlinois, se détraquent et ne valent ni la pierre vive, ni les authentiques nations !…

L’art allemand, veut-on le voir dans les musées ? Il n’est pas de ville allemande qui ne possède son musée. Un riche musée, et qu’on a bâti, qu’on meuble prestement. Toutes les grandes écoles de peinture et de sculpture y sont représentées. Les noms illustres y foisonnent, depuis les rares primitifs jusqu’aux plus extravagans cubistes. Les primitifs, on les tient des ancêtres, car l’ancienne Allemagne a eu ses maîtres admirables. Les cubistes, on les achète à peu de frais : et l’on s’attend que ça devienne une affaire d’or ; sait-on jamais ? Ce qui manquerait à la collection pour qu’elle fût complète et instructive, les Italiens de la Renaissance, les Hollandais, Flamands et Français de la plus belle époque, eh bien ! l’on s’en procure des échantillons en moins de temps et à meilleur compte que chez nous. On a des faux : et voilà tout. Les faux abondent, dans les plus glorieuses galeries