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Gabriel Monod, sortant de l’École normale, partit pour l’Italie, Taine l’interrogea : « Quelles idées allez-vous vérifier ?… » Jacque Vontade ne partit point pour l’Allemagne avec des idées à vérifier, ni seulement avec une méthode rigoureuse d’information. Ce qu’elle nous enseigne, au retour, elle l’a vu, sans le chercher, presque par hasard. Mais elle a de bons yeux, et très intelligens, une sensibilité particulièrement fine, le don de ne jamais languir en état d’indifférence. Que de passion, même ! Un zèle incomparable et, ajoutons, une invention verbale très heureuse, pour suffire à un tel entrain d’une riche pensée.

C’est, je crois, à Weimar que Jacque Vontade éprouva son plus vif plaisir. Elle rêva dans les « maisons sacrées : » celle de Goethe, celle de Schiller, et celle de Herder, et celle de Nietzsche. Voilà le pèlerinage que nous n’avons plus envie de faire. Éprouvons-nous quelque regret ?… Les personnes à qui M. de Goethe, ministre de Saxe-Weimar, est le plus précieux ont la ressource de le considérer comme un splendide exemplaire de l’humanité, comme un héros intellectuel, bien détaché de son pays natal et qui aimait tant l’Italie !… Car il disait : « Voir l’Italie était une soif qui me dévorait. » Et il disait encore : « Si je n’étais venu en Italie, je crois que j’aurais perdu la raison. » Et puis : « Je regarde comme mon second jour de naissance et l’époque réelle d’une seconde vie le jour où je suis entré à Rome… » Allons, c’est bien ! Et l’art gothique de sa vieille Allemagne, il le méprise pas mal : « Les pauvres saints juchés les uns sur les autres dans de mauvaises niches, les colonnes en tuyaux de pipe, les petits clochers pointus, grâce à Dieu, j’ai dit un éternel adieu à tous ces objets !… » Pour les Gœthiens les plus impénitens, il y a là un alibi : sans doute se loueront-ils de posséder quelques argumens pour déclarer « leur Goethe » peu Allemand. Mais il l’était : je ne tiens pas beaucoup à lui. A Schiller, pas du tout ! Celui-là, qui vous a combiné une Jeanne d’Arc amoureuse d’un bel Anglais, je ne le regrette pas. Jacque Vontade, cependant, nous le montre comme un très honnête homme et qui avait le goût naturel du sublime. Oui ! et son idée du sublime, infiniment respectable, je l’avoue, n’était pas exempte de toute niaiserie. Quel citoyen de l’univers ! Il s’écriait : « C’est un pauvre but qu’écrire pour une nation. Un esprit philosophe ne peut pas supporter de telles limites… » Schiller ne se contente même pas d’écrire pour mie grande nation, pour la plus grande des nations. Qu’est-ce qu’une nation ? Il répond : un fragment. Ce fragment ne lui « échauffe » pas l’esprit. Et il réclame « l’espèce