Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Car mes pauvres blessés m’attendent ; tout le jour
Ainsi que leur maman je verse avec amour
Mon espoir dans leurs yeux, du baume à leurs blessures.
Mes mains, pour les panser pas encore très sûres,
Tâchent d’être du moins très douces. Dans leurs yeux
Si parfois je surprends comme un éclair joyeux,
Ma peine, est aussitôt cent fois récompensée.
Le soir venu, je rentre emportant ta pensée
Comme un parfum vivace enfermé dans mon cœur,
Dans l’église un instant sur les degrés du chœur
J’agenouille à la fois ma prière et ma vie.
La Vierge du vitrail me tend les bras, ravie,
Et semble en souriant me dire : « Il reviendra. »
Un cierge nuit et jour sur l’autel brûlera
Pour toi jusqu’à la fin de cette horrible guerre.
On vous attend. Le grand Paris ne vit plus guère
Depuis que sont partis les êtres qu’il aimait.
Tout ce Paris brillant qui le soir s’animait,
Tout son ciel de minuit qui chante et qui rougeoie
Aurait honte à présent de refléter la joie.
Tout est fermé. J’ai clos ma porte aux importuns.
Quelques amis, du sort d’un des leurs incertains,
Tisonnent avec moi leurs tristesses pareilles :
Nous parlons bas : les murs, peut-être, ont des oreilles ;
On pourrait deviner nos pleurs. Il ne faut pas !…
Reste vaillant. Le Dieu des forts guide tes pas
Et saura détourner la balle meurtrière.
Fais chaque jour, — tu me l’as promis, — ta prière,
Et marche rassuré : la Victoire est devant !
Je t’embrasse du fond de mon cœur, mon enfant ! »


Lieutenant GEORGES ROLLIN.

En campagne, 25 septembre 1914.