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Et pendant que la plaine et les eaux et les bois,
Luttant contre la nuit, s’embrasent à la fois
Pour faire au jour qui meurt de dignes funérailles,

La Vieille qui s’éloigne et se tasse en marchant
Semble, elle aussi, porter son fagot de broussailles
Au bûcher du Soleil couchant.


L’AURORE


Debout ! le chant du coq a retenti dans l’ombre,
Une frange de feu court au bord du ciel sombre,
S’élire à l’horizon, s’effiloque : on dirait
Qu’un bandeau d’or se pose au front de la forêt.
Sur la route, inclinés vers l’astre qui se montre,
Les peupliers ont l’air d’aller à sa rencontre.
Le clocher qui veillait sur le bourg endormi
Entend monter des toits comme un murmure ami.
Un volet claque au mur, le treuil du vieux puits grince,
Sur la place une vieille, en bonnet, toute mince,
Emporte un seau d’eau claire où tremble un pan de ciel
Tout s’imprègne d’odeurs d’herbe fraîche et de miel.
Coupant d’un trait vermeil la plaine où rien ne bouge
La rivière, au sortir du brouillard, devient rouge
Ce pendant que la Nuit surprise et reculant
Sous les flèches du Jour qui font saigner son flanc
S’allégeant, pour mieux fuir, d’une arme inopportune
Semble jeter au loin son bouclier de lune.
Un vent brusque a tiré les champs de leur sommeil,
Les bois se sont emplis d’échelles de soleil.
Les roseaux de l’étang ont des soupirs de harpes,
Les hameaux dénouant leurs bleuâtres écharpes
Piquent de feux épars les vapeurs du matin.
L’Azur comme un écrin retourné de satin
Renverse à l’Occident ses perles, les étoiles.
Et voici que l’Aurore, émergeant de ses voiles,
Coquette, s’échappant des bras du Ciel pâli,
Entrebâille en riant les rideaux de son lit,