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pour ceux qui savent les comprendre et les écouter. Quand il reconnaît qu’il est en quête « de gloire pour se faire aimer, » c’est, sans nul doute, à cette grande gloire qu’il songe, beaucoup plus qu’à la gloire un peu frivole d’avoir causé avec des pachas imaginaires ou d’avoir malmené en rêve quelque Turc pris de vin. A force de penser de nobles choses sur de nobles ruines, il voulait que désormais sa méditation fût inséparable d’elles, et qu’un grand souvenir, le sien, s’attachât désormais à tous ceux qu’elles supportaient déjà. Le P. Garabed a un mot spirituel et précis pour définir cette âme latente de l’Itinéraire : « En allant chercher des images en Orient, il a voulu surtout y laisser, pour toujours, la sienne. » Il l’y a laissée. Après tout, se disait-il sur les ruines de Sparte, « ne dédaignons pas trop la gloire ; rien n’est plus beau qu’elle, si ce n’est la vertu. » Le galant chevalier de l’Alhambra avait provisoirement renoncé à la « vertu ; » et, en terminant son « itinéraire, » c’est sur une pensée de gloire qu’il s’arrêtait : « J’ai assez écrit, si mon nom doit vivre, beaucoup trop s’il doit mourir. » Il pouvait se rassurer. Lui aussi, il avait élevé sa « pyramide. »

Par bonheur, ce « glorieux, » qui est un homme d’esprit, ne nous ramène que discrètement au pied de cette « pyramide ; » sûr de son immortalité, le dieu s’amuse parmi les hommes. Là est une des grâces de l’Itinéraire, de montrer le génie bon enfant et, malgré tout, un peu sceptique. Ce dévot de la gloire ne ferme pas les yeux sur ses à-côtés plus humbles ou sur ses revers plaisans. Quand il sort de la solitude de son rêve, — solitude relative et peuplée, — il retrouve sans déplaisir ses compagnons qui n’ont point quitté terre. Le contraste entre ses pensées et les leurs, loin de l’irriter, l’amuse presque toujours : il leur sait bon gré de détendre sa méditation et d’y glisser un peu d’involontaire ironie. Cet héritier des Chateaubriand ne traîne derrière lui que des Croisés sans panache, un Joseph, un Julien, un Jean, un Michel, un Ali, écuyers trop modernes, qui suivent avec une ardeur intermittente ce cavalier endiablé, et qui ne s’attendrissent que devant la marmite. Le maître, qui chevauche aux côtés de la gloire, se retourne parfois pour les regarder ; et, à les voir si différens de lui, il a un bon rire indulgent. Il les a remerciés à sa façon en faisant leur croquis à une halte du chemin. Il s’en excuse presque, comme d’un manque de tact artistique ; mais c’est une excuse de pure forme. Ces