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Cette méthode ne va pas, du reste, sans quelque risque, quand les livres sont lus trop vite et un peu légèrement. En s’avançant d’Eleusis vers Athènes, Chateaubriand se fait renseigner par Chandler ; mais il oublie que Chandler fait la promenade en sens inverse ; il en est quitte pour admirer sur sa gauche ce qui est à sa droite. En lisant le Voyage de Barthélémy, il oublie que le bon abbé fait voyager son disciple « au IVe siècle avant l’ère vulgaire, » et bravement, à la suite d’Anacharsis, il gravit un « escalier taillé dans le roc, » qui était déjà détruit au temps de Pausanias, dix-sept siècles avant l’auteur de l’Itinéraire. Cette mésaventure lui arrive quelquefois, et il a la bonne fortune, ou l’infélicité, comme on voudra, de s’asseoir sur bien des ruines dont on chercherait vainement la trace après lui ; mais ceux qui feront les sceptiques sur son Itinéraire montreront seulement qu’ils connaissent bien mal la triste situation de la Grèce : « Les destructions s’y multiplient avec une telle rapidité que souvent un voyageur n’aperçoit pas le moindre vestige des monumens qu’un autre voyageur a admirés quelques mois avant lui. »

Ce seront surtout les successeurs de Chateaubriand qui auront à faire cette remarque. Pour lui, plus chanceux, il a pu contempler de près, examiner en détail tous ceux dont ses guides, ancien ou récens, lui ont fourni plus tard la description. Il n’a pour cela aucun effort à faire, ni, quoi qu’il assure, aucun scrupule de sincérité à combattre : son imagination suffit à tout. On n’a pas oublié ces Albanais un peu trop bruyans qui encombrent son bateau de Rosette au Caire. « Nos Albanais, moitié musulmans, moitié chrétiens, criaient Mahomet et Vierge Marie, tiraient un chapelet de leur poche, prononçaient en français des mots obscènes, avalaient de grandes cruches de vin, lâchaient des coups de fusil en l’air et marchaient sur le ventre des chrétiens et des musulmans. » Tout ce croquis est excellent ; mais je soupçonne fort ce « chapelet » d’avoir été simplement le joujou inoffensif dont tant d’Orientaux occupent leurs mains ; et je me demande si nous ne devons pas cette spirituelle pochade à la méprise d’une imagination trop pressée. C’est, du moins, cette imagination qui lui montrera dans le Ryndacos le