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REVUE LITTÉRAIRE

ELLE ET LUI

Lui, ce sera Victor Hugo, cette fois ; et, elle, Mlle Drouet. Leurs amours ont duré cinquante ans, depuis les premiers jours de l’année 1833 jusqu’à la mort de l’amoureuse, mort qui survint le 11 mai 1883. Cette constance donne quelque dignité à une liaison qui, par ailleurs, eut des inconvéniens et qui, en somme, n’est pas pour embellir la biographie du poète. Or, on dira : — Laissez cela ; le respect qu’on doit aux morts... et n’avilissons point nos grands hommes !... Il ne s’agit pas de les avilir, mais de les connaître ; et le respect qu’on doit aux morts dépend, en quelque façon, du respect qu’ils ont eu d’eux-mêmes. Nous avons à connaître les grands hommes, s’il est incontestable que leur prestige et leur influence gouvernent leur époque et, après eux, gouvernent encore les imaginations et les âmes ; nous avons à les juger, comme à les choisir, car ils sont les maîtres de la vie ; et nous avons à démêler en eux ce qui leur vaut une juste maîtrise, cela et le reste. Plus nous les subissons, et plus il importe que nous en usions, à leur égard, avec discernement. Ce n’est point une mesquine revanche, mais une sage précaution. D’ailleurs, sa liaison, Victor Hugo ne l’a point cachée ; plutôt, il l’a exhibée. Et Jupiter n’affichait pas davantage les mortelles qu’il avait distinguées. Nulle hypocrisie ; et, autant dire, quelque cynisme, une façon de croire et de faire admettre qu’étant Hugo l’on règne à sa guise. En outre, les fidèles du patriarche ne l’ont pas couvert, Noé nouveau, d’un pudique manteau.

Il a paru, l’année dernière, un petit volume, Juliette Drouet, sa