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L’ALSACE EN 1814 ET EN 1914.

péenne, une combinaison à longue portée, dans laquelle, directement ou indirectement, originairement ou comme conséquence possible et lointaine, la question d’Alsace ne fût impliquée.

Elle se présentait à propos de cette politique coloniale où une Allemagne plus habile, l’Allemagne de Bismarck, nous avait vus autrefois nous engager volontiers, où aujourd’hui une Allemagne plus aveugle nous a, par des querelles continuelles, tenus constamment en haleine et mis finalement en disposition et en état de lui résister. Et par l’un de ces retours de la fatalité des choses, par l’une de ces lois de l’histoire, supérieures aux desseins et aux intentions des hommes, qu’un historien tel qu’Albert Sorel aimait à montrer, la politique coloniale, qui semblait devoir détourner nos regards de la ligne bleue des Vosges, nous y a ramenés. Elle avait paru avoir d’abord pour résultat de nous rapprocher de l’Allemagne, et c’est elle qui a aggravé, accéléré l’inévitable conflit. Au lieu d’éviter, comme on l’avait cru, la question d’Alsace-Lorraine, ou même d’en retarder la solution, c’est la politique coloniale, quoi qu’on puisse penser de la manière dont elle a été pratiquée, qui l’aura hâtée.

À côté, en dehors et au-dessus de nous, dans ce choc gigantesque où nous ne sommes qu’un des partenaires, dans ce heurt universel des intérêts dont on n’aperçoit pas les limites et la fin, et où l’Alsace n’apparaît qu’un point, ce point sensible et douloureux est à l’origine, à la base de tout. C’est à cause de l’Alsace que ces millions d’hommes se battent. C’est parce qu’il y a quarante-quatre ans, l’Allemagne a pris l’Alsace, où elle voyait une terre allemande à revendiquer, des frères allemands à faire rentrer, de leur gré ou contre leur gré, dans le giron de la grande Germanie reconstituée, où Bismarck voyait le « glacis d’empire » contre une France abattue et mutilée, c’est pour cela que le monde plie sous le poids d’une « paix armée » dont les charges écrasantes augmentent sans cesse. Quand vient le jour de la terrible échéance, la Serbie, attaquée par l’Autriche, opère le premier déclenchement qui détermine tous les autres. En apparence, la guerre est sortie de la question d’Orient : au fond et à l’origine, il y avait la question d’Alsace-Lorraine.

Et voici qu’en même temps la Pologne rentre dans l’histoire. Il n’y a rien de surprenant pour l’historien à ce que les deux questions se posent ensemble. Intimement liée, au XVIIIe siècle,