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L’ALSACE EN 1814 ET EN 1914


Écrire sur l’Alsace[1], à l’heure actuelle, semble une chose vaine quand des millions d’hommes s’affrontent dans une lutte formidable et sans précédent dont, pour nous, avec l’avenir de la France, l’Alsace-Lorraine est l’enjeu. Si, dans cette lutte, où tant d’autres offrent leur vie et leur dévouement, spectateurs inutiles, nous assemblons de pauvres paroles, de quoi, sinon d’elle, pourrions-nous parler ?

Depuis quarante-quatre ans, la question d’Alsace-Lorraine domine l’histoire du monde, comme elle commande nos propres destinées. On a dit chez nous ces mots, qui sont vrais pour l’époque où ils furent prononcés : pensons-y toujours, n’en parlons jamais. Que nous y ayons pensé ou non toujours comme il fallait, nous avons eu raison plus d’une fois de n’en point parler. Que nous en parlions bien ou mal, nous étions forcés d’y songer. Que le monde y fût disposé ou non, le monde était contraint de ne pas l’oublier. Il n’y a pas eu durant ces quarante-quatre années une détermination grave de la politique française et euro-

  1. J’écris Alsace et non Alsace-Lorraine, parce que le rapprochement historique de l’année 1814 et mes observations récentes en pays annexé portent sur l’Alsace. Bien des traits et des réflexions générales s’appliquent à l’Alsace-Lorraine dans sa totalité. Je ne voudrais pas être accusé de négliger dans mon culte et mon affection cette émouvante et admirable Lorraine, si attachante dans son caractère particulier, frémissante aujourd’hui sous une domination barbare qui s’y livre à des actes dont nous ne connaissons pas l’étendue. Dans l’ensemble complexe et douloureux qu’enserre encore l’oppression, la « Terre d’Empire, » il faut distinguer l’Alsace, la Lorraine (où la langue accuse déjà des différences) et l’Alsace-Lorraine, cette création de la conquête dont la communauté du sort, de la contrainte et de nos sentimens pour les deux provinces séparées ont fait une réalité.