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CHOSES D’ALLEMAGNE
DEUX MÉTHODES DIPLOMATIQUES

Le prince de Bismarck disait un jour :


Les armemens ne suffiront pas à l’avenir. Il faudra, en politique, la justesse du coup d’œil pour piloter le vaisseau de l’Allemagne à travers tous les courans de coalitions, auxquels notre situation géographique et notre origine historique nous exposent [1].


Voici les jours prévus par le grand Chancelier. Sans doute n’avait-il pas imaginé que les trois quarts de l’Europe et le Japon se coaliseraient contre la tyrannie allemande. Mais il avait la terreur, disait-il, de toute coalition ; la seule crainte de l’alliance franco-russe suffisait à empoisonner son bonheur. Il connaissait la fragilité de son œuvre ; il avait prévu que sa Triplice casserait, comme avait cassé son alliance de Trois Empereurs, et c’est alors qu’il faudrait à l’Allemagne un pilote de génie...

De tous les motifs à espoir qu’en cette crise suprême, peut avoir une âme française, il n’en est pas de plus puissans, je crois, que l’évocation, même rapide, très rapide, des talens et capacités auxquels Bismarck eût reconnu ce bon pilote. Entre les méthodes du gouvernement allemand d’aujourd’hui et les méthodes bismarckiennes, il y a toute la différence de la diplomatie la plus habile à la plus simple brutalité : c’est la diplomatie de Bismarck qui avait fait au vrai les victoires allemandes de 1866 et de 1870 ; sans Bismarck, sans son œuvre

  1. Bismarck, Pensées et Souvenirs, trad. Jaeglé, II, p. 313.