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que le même mouvement se continue depuis deux jours. Paris sauvé, ils sont contens.

11 heures du soir. — Deux de nos voitures les plus douces viennent de ramener chacune, de Nangis, un officier anglais. Ils étaient provisoirement soignés chez des particuliers. On se proposait d’en ramener un troisième ; on l’a trouvé mort. Le curé de cette petite ville a vaillamment soutenu les courages et organisé les secours. Les bombes d’aéroplanes ont fait assez de mal dans les environs : une femme a eu la jambe cassée et un petit garçon de neuf ans a péri ; une autre femme a été tuée net avec son enfant dans les bras, sans que le bébé fût atteint. Un de nos deux Anglais a eu le poumon perforé d’une balle ; nos médecins comptent le sauver. Mon dernier travail, en cette émouvante journée, a été d’inventorier ses effets, pour mettre au coffre-fort ses objets de valeur. La pauvre tunique était percée de deux trous vers le milieu ; l’un à l’entrée de la balle, l’autre à sa sortie. Tout alentour, de larges tâches rouges.


12 septembre.

Nous attendions, hier soir, un officier supérieur anglais, le général Snow, qu’on était allé prendre à Coulommiers. J’apprends, à cette occasion, que notre quartier général a quitté cette ville, sans doute pour avancer au Nord-Est ; c’est un bon signe de plus. Le général Snow n’est arrivé que ce matin. Ses blessures, me dit-on, ne sont pas graves : son cheval se serait renversé sur lui. C’est l’affaire de quelques jours. Heureusement, car il a eu lui-même à remplacer un autre général, et les chefs sont précieux.

Cette nuit sont arrivés deux blessés allemands que je n’ai pas encore vus. J’ai seulement fait, ce matin, l’inventaire de ce qu’ils apportaient. Leurs effets étaient souillés de boue et de sang. Nous avons mis sous scellé ce qui pouvait en valoir la peine, sans approfondir si c’était apporté d’Allemagne ou volé en France. Je ne dis pas cela pour une pomme verte, trouvée dans la poche ; mais un carnet portant l’en-tête du petit séminaire de Saint-Riquier m’a laissé rêveur. Malgré tout, je n’ai pas à faire le moindre effort pour me sentir porté vers eux par un sincère sentiment de pitié, surtout depuis qu’on m’a dit qu’à leur arrivée, ils tremblaient de tous leurs membres.

Une bonne partie de mes visites, jusqu’ici, se passe à faire