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enfin, et le monde, que le bluff allemand avait si longtemps fasciné, pouvait constater que l’Allemagne n’était pas invincible. Mais nous n’avions pas l’illusion de croire qu’elle était déjà vaincue : de grands efforts nous restaient à faire.

Il semble que les Allemands avaient eux-mêmes prévu leur défaite, et, en tout cas, ils l’avaient regardée comme possible, puisqu’ils avaient préparé sur l’Aisne une seconde ligne de défense où ils se sont réfugiés à la hâte et ont pris tout de suite position. Cette position est très forte. Ce n’est pas une bataille ordinaire que nous avons eu à leur livrer, mais un siège que nous avons eu à entamer contre des retranchemens scientifiquement construits, et qu’on songe à ce que peut être un siège sur un front qui s’étend depuis l’Oise jusqu’à la Meuse ! Comme l’ennemi est ravitaillé par ses derrières, la lutte menaçait de durer longtemps, lorsque nous avons entamé le mouvement débordant qui se poursuit aujourd’hui, et dont le caractère est assez évident pour n’avoir pas besoin de commentaire. Les Allemands ont fait des sorties nombreuses, tantôt sur un point, tantôt sur un autre : ils ont été toujours repoussés jusqu’à la Meuse, et c’est seulement au delà, dans la Woëvre, que nous avons perdu un peu de terrain. Mais nous en avons gagné beaucoup plus à notre gauche, et nous en gagnons encore tous les jours : les dernières nouvelles parlent des « progrès sensibles » que nous avons faits sur ce point où est le nœud de la bataille et sur tout le front où les Allemands se sont livrés sans succès à des attaques d’une violence inouïe. Il semble qu’ils soient sur le point de fléchir. Nous n’en dirons pas davantage. La presse française a pris le sage parti de se taire sur les opérations militaires, et ce n’est pas nous qui manquerons à cette loi du silence ; elle laisse la responsabilité à ceux qui en ont la charge ; et elle est de plus une marque de la confiance qu’ils nous inspirent. Nous constatons toutefois que les Anglais ne voient pas d’inconvénient à parler plus que nous ne le faisons nous-mêmes et que nous apprenons par les rapports du général French, avec quelque retard, ce que le général Joffre a préféré ne pas nous dire. Ils ont sans doute raison tous les deux : chaque pays a son caractère.

A l’Est de l’Europe, nos alliés les Russes continuent d’avoir des succès marqués contre l’Autriche en Galicie. Ils ont été, à la vérité, un peu moins heureux jusqu’ici contre les Allemands, mais il n’y a pas lieu de se préoccuper beaucoup des quelques échecs qui ont ralenti leur marche, non seulement parce qu’ils les ont en grande partie réparés et continueront de le faire, mais parce que ce n’est