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réussi à vaincre, éprouve le besoin sauvage de détruire. Elle a d’ailleurs bien choisi son objet, car rien ne pouvait nous être plus sensible que la perte d’une église qui était pour nous, entre tous les autres, le monument national par excellence. On a parlé à ce propos des barbares d’autrefois et, en effet, le rapprochement s’imposait ; mais à cette première impression une autre a succédé ; après les analogies, on a aperçu les différences. Attila avait une excuse dans sa barbarie même, et encore lui est-il arrivé de s’arrêter comme ému d’une terreur secrète, en face de la civilisation qui se présentait à lui sous une forme religieuse. Il a épargné Troyes à la prière de saint Loup. Il s’est détourné de Rome devant la majesté de saint Léon. Il n’était pas incivilisable. Mais les Allemands sont civilisés, et leur crime est d’autant plus impardonnable qu’en l’accomplissant, ils savaient fort bien ce qu’ils faisaient. Ils ne sont pas des barbares et ils font des actes de barbarie. C’est ce qui donne à ces actes un caractère d’infamie dont l’histoire n’avait encore fourni aucun exemple. Certes, nous ne doutons pas du succès final des armées alliées ; mais, si la fortune devait nous abandonner, la victoire allemande resterait déshonorée et flétrie dans la conscience du genre humain. On entend déjà le jugement qu’elle porte. La première protestation qui s’est élevée contre l’incendie de la cathédrale de Reims est, dit-on, celle du Pape Benoit XV : mais combien d’autres ont aussitôt suivi celle-là ! Il en est venu de toutes les parties du monde, il en vient encore tous les jours. Le mouvement continue, il n’est pas près de s’arrêter, et quand, la guerre une fois terminée, l’heure sonnera du règlement de compte définitif, le spectre de ces cités dolentes, Louvain, Reims, Senlis, demandera vengeance et justice et certainement l’obtiendra. Devant les ruines de notre cathédrale se dresse toujours la statue de Jeanne d’Arc de Paul-Dubois, l’épée haute et le regard au ciel : elle semble sortie vivante d’un autre bûcher. C’est la plus pure, la plus noble, la plus forte incarnation de la France : sa grande mémoire nous protège, elle nous sauvera.

L’état-major allemand aurait-il senti la honte qui pèse sur lui et a-t-il voulu essayer de s’en dégager ? On a pu lire dans les journaux la pitoyable explication qu’il a donnée comme une excuse de son vandalisme. Ce n’est pas la première fois que cela lui arrive. Déjà, à propos de Louvain, il avait pris audacieusement la parole et aussitôt il avait menti. Le prétexte donné étaient quelques coups de fusil qui auraient été tirés par la population civile contre les soldats. Le fait a été contesté, nié. Nous avons d’ailleurs déjà dit que, quand même il serait