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alors vous risquez qu’ils se moquent de vous et cela avec raison. Je crains que Schönburg ait un peu passé par là, car lorsqu’il veut être fin, il montre parfois la corde.

Quelque temps après la visite du prince, Balzac se rend à son tour chez lui et lui apporte un livre très bien relié, orné des armes de la maison de Schönburg, doré sur tranches et qui contient, à ce qu’il disait (M. de Balzac), le manuscrit d’un de ses romans. J’ai vu ce manuscrit. C’est la première épreuve de l’imprimeur, toute tachée et biffée, chargée de corrections de la main de M. de Balzac, mais cela ne peut pas cependant s’appeler un manuscrit. M. de Balzac a-t-il voulu se moquer du prince, ou est-il pétri de vanité au point de croire qu’une mauvaise épreuve soit un trésor pour le prince, par la seule raison que lui, auteur de ce livre, a corrigé de sa main les fautes de l’imprimeur ? Dans ce genre tout est possible ; mais ce dont j’aurais douté, si je n’en avais été témoin, c’est de voir M. de Schönburg ravi de Balzac et de son cadeau !


2 mai. — La fête de Louis-Philippe s’est merveilleusement bien passée. Nous avons eu notre cercle ; l’Ambassadeur, comme le plus ancien à Paris, a prononcé le discours au nom du corps diplomatique ; le Roi lui a répondu et tout a été dit.

M. de Schönburg a pris la résolution de rester jusqu’à la Saint-Philippe ; il a une peur affreuse de la société de Vienne et notamment de la princesse Mélanie de Metternich ; il a feint là-bas de n’accepter qu’avec regret la mission à Paris, il en mourait d’envie cependant. Arrivé ici, il a été enchanté de la manière dont il était traité par le Roi et la famille royale. Comme de plus le séjour de la capitale a aussi beaucoup de charmes, il avait grande envie d’y prolonger sa présence et aurait voulu que l’Ambassadeur l’y engageât. Mais celui-ci n’en fit rien ; il dit au prince qu’il n’avait pas de conseil à lui donner et qu’il était maître de faire ce que bon lui semblerait, puisque, sa mission une fois terminée, il n’était plus qu’un simple voyageur absolument libre de ses mouvemens.

Le prince, voyant qu’il n’y avait rien à faire de ce côté, recourut à un autre procédé. Tandis qu’il demandait officiellement son audience de congé, il alla chez la marquise de Dolomieu et lui laissa entendre qu’il souhaitait que le Roi ne mît pas trop d’empressement à lui accorder cette audience. Ceci