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Il reste encore à répondre à une objection de M. Valin : « que neuf témoins oculaires affirment, en des termes non équivoques, mais, au contraire, précis et circonstanciés, que Jeanne a abjuré. » Pour en juger, il faut se reporter au texte de leurs dépositions. Quelques-uns de ces témoins ont employé, en effet, le mot abjuration, mais : « Qu’avait-elle abjuré au juste ?... On ne le savait pas, » comme l’a déjà constaté le rapporteur. Les témoins qui se servent du mot abjuration, ignorent donc à quoi ils l’appliquent, puisque aucun ne peut dire ce que contenait la cédule. Or, comme le reconnaît M. Valin, « la cédule qu’on venait de lire à Jeanne ne heurtait pas sa conscience ; elle ne contenait rien de contraire à ce qu’elle avait toujours soutenu, affirmé, proclamé. Elle n’y reniait ni ses voix, ni sa mission, ni son roi. « Elle n’avait donc pas abjuré ; on appliquait le mot abjuration à un acte qui n’était en rien une abjuration.

Les neuf témoins, dont il est question, sont Pierre Boucher, Mailly, La Chambre, Macy, Nicolas Caval, Nicolas Taquel, G. Manchon, G. Colles et Massieu.

Boucher dit bien : « Que Jeanne se soumettait au jugement de l’Eglise, » mais il ajoute : « Quant à ce que Jeanne entendait par le mot Eglise, je m’en rapporte à ce qu’elle avait alors dans l’esprit (Notre Saint-Père le Pape). » — Voilà qui n’est pas concluant pour prétendre à une abjuration !

Jean de Mailly, évêque de Noyon, déclare : « Que ce n’était qu’une espèce d’abjuration, une dérision, et que Jeanne n’avait fait que se moquer et n’en tenait pas compte. » Dans cette déposition, ne faut-il pas voir le contraire d’une abjuration ?...

La Chambre emploie le mot abjuration, mais il nous dit : « Que Jeanne fit ses conditions et que la formule était de 6 à 7 lignes. » Il s’agit donc bien de la petite cédule qui ne contenait en rien une abjuration.

Aimond de Macy dépose que, pour éviter le péril, elle dit qu’elle était contente de faire tout ce que l’on voudrait ; or, Macy n’était pas sur l’estrade, mais dans la foule, et ce qu’il rapporte n’est pas une parole textuelle de Jeanne. Il s’agit donc d’une impression qui n’a rien de certain, car il ajoute que Jeanne, en se moquant, fit un rond, ce qui est loin de ressembler à une abjuration.