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maman, donne-moi Stein. Je l’ai aimé depuis mon enfance. Je serai ravi de l’avoir toujours près de moi ! » Et c’est là un témoignage de quelque autorité, on en conviendra.

Plus tard encore, nous verrons Gœthe mander de Leipzig à Charlotte qu’à « sa grande joie, » il a rencontré Stein au cours de son voyage et la confiance réciproque deviendra si grande entre les deux hommes que le poète ira jusqu’à se charger d’écrire à Charles de Stein, fils aîné de Josias et de Charlotte, pour le morigéner sur ses prodigalités d’étudiant, au nom de son père ! Enfin ce même Charles de Stein, caractère indépendant et sincère, esprit jovial et droit, célébrera parfois dans ses lettres d’âge mûr, avec un visible attendrissement, la bonté du baron Josias, ainsi que le désintéressement parfait avec lequel il subvenait aux frais de son ménage, ne gardant rien pour lui de son traitement.

Charlotte ne fut pas néanmoins fort heureuse avec cet époux de bon caractère et de bonne volonté. En partie par sa faute ? Cela est possible, car la tolérance et la largeur d’esprit ne lui vinrent guère qu’avec l’âge et sans doute trouva-t-elle tout d’abord un peu vulgaire ce parfait gentleman-farmer. Un jour qu’elle s’est égarée dans les bois de Kochberg au cours d’une promenade solitaire, elle proteste dans une lettre à sa belle-sœur, Mme Ernest de Schardt, qu’elle n’en dira rien à Stein pour éviter son rire trop insistant et ses plaisanteries de clown ! Réserve qui en dit long sur les relations habituelles entre les deux époux. « Moi qui ai connu si peu d’heureux jours avec votre père, » écrira-t-elle sans ambages à ses fils après la mort de Josias ! Et, une autre fois : « Dans ma jeunesse, je m’étais fait, moi aussi, une image fantaisiste d’un mari tout autre que la nature ne les façonne, et, en général, une conception fort romanesque des hommes ! »

De bonne heure, elle dut en outre juger son mari quelque peu bizarre et de cerveau mal organisé pour le moins, puisque la maladie cérébrale qui emportera Stein vers la soixantaine ne sera « nullement inattendue » de sa femme. Dans l’administration de Kochberg, elle le trouvait à la fois chimérique et dépourvu d’énergie, alors que pour sa part il croyait simplement faire preuve de bonhomie et de longanimité à l’égard de ses vassaux ou tenanciers. « Combien souvent, écrira-t-elle enfin, dans une phrase révélatrice, combien souvent ne me suis-je