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La première de ces définitions ne conviendrait guère à notre cas, puisqu’il s’agit de temps que l’histoire éclaire, et que précisément nous avons tâché de démêler sous quelles influences la crise de l’État moderne s’est ouverte et précipitée. Mais la seconde convient parfaitement. Dans le développement de cette crise, « le mythe du peuple souverain » et « le mythe de la classe ouvrière » ont opéré, coopéré. Le fait a été créé par l’idée, ou plus exactement il a été créé par le fait, mais il a été élargi, vivifié, amplifié, multiplié par l’idée. Il a acquis toute sa vigueur, toute sa puissance de production, quand il est devenu capable de se transformer en notion quasi religieuse. En dépeignant l’espèce « ou la classe ouvrière, en recherchant ce que « le fait d’appartenir à cette classe lui a fait ajouter, chez nous, au fonds commun d’humanité, » « comment cette humanité de classe a impressionné et modifié en l’ouvrier son humanité générale, » « ce que les ouvriers ont pensé d’eux-mêmes et ce que les autres classes de la société ont pensé des ouvriers, » en France, particulièrement de 1750 à 1848, j’ai eu constamment le souci, selon les recommandations de Taine, de ne pas « raisonner à vide, » afin de ne pas « construire à faux, » de ne pas « livrer à l’arbitraire, » mais de tirer « de son caractère et de son passé, de sa nature et de son histoire, la forme sociale où notre peuple pourra entrer et rester. » Si j’y avais tant soit peu réussi ; au bout de cette trop longue et pénible exploration, si je pouvais espérer tant soit peu avoir bien vu ce qu’est « l’espèce, » la classe ouvrière dans la France contemporaine, et par là même avoir « découvert » une des bases de la « constitution, » de l’organisation du travail, j’aurais, pour le moment, rempli tout mon dessein.


CHARLES BENOIST.