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Mais l’Askia veillait. Le forfait ne se renouvela point. Il advint ensuite que, méprisant le droit d’asile, le septième Askia fit enlever de Tombouctou son frère qui fuyait le bourreau. Ce fut un scandale parmi les lettrés. Ils agitèrent les plis de leurs robes. Ils crièrent, par les rues, les surates de réprobation. Ils appelèrent, sur le violateur des privilèges sacrés, le châtiment des cataclysmes. Peut-être quelques-uns d’entre eux envoyèrent-ils à Marrakech des messages et des invocations. Car, peu de temps après, les armateurs des caravanes pour l’Ouest eurent à craindre les armées du Maroc mises en marche, l’une vers le Sénégal où elle se désagrégea, l’autre vers les salines de Taghazza. Bientôt les chameliers de Tombouctou durent payer une rançon aux Marocains arrivés sur le lieu, et qui le revendiquaient comme une juste compensation due à leur sultan de Fez, protecteur de l’Islam contre les entreprises de la chrétienté. L’Askia dut abandonner les salines à la cupide administration des conquérans. Ce changement, les spéculateurs de Tombouctou ne le purent tolérer. Ils s’indignèrent, accusant l’incapacité de l’Askia, l’inertie de ses troupes, pour lesquelles ils payaient tant. Et, fort mal à propos, dans un esprit de révolte, les lettrés reconnurent, pour nouvel Askia, Saliki-Balama, qui fut battu par Issihak fils de Daoud, et pourchassé jusque dans Tombouctou. Incontinent, le maire et le chef Targui de la ville furent exécutés avec le vaincu, leurs partisans châtiés. Tombouctou connut les horreurs des supplices, la couleur du sang que boit le sable. Un an plus tard, Issihak, fuyant les mousquets marocains de Djouder l’Espagnol, expédiait aux gens de Tombouctou l’ordre de passer sur la rive droite du Niger. Cliens des Marocains, ils n’en eurent garde, à l’exception des fonctionnaires, et reçurent de leur mieux, le 30 mai 1591, Djouder l’Espagnol ainsi que ses troupes. Elles furent camper dans le quartier tripolitain. Elles le fortifièrent. Désormais le sultan du Maroc régnera sur la ville de glaise et de sable, sur la ville gorgée de richesses, encombrée d’esclaves, ivre de dévotion et de volupté.

Pour son malheur et sa ruine. Depuis Djouder, depuis le XVIe siècle, l’énergie destructive de l’Islam qui avait, au Nord, tout anéanti des villes romaines et byzantines déjà, cette énergie néfaste organisa la puissance de la Terreur. Au lendemain de leur entrée, et sur un, simple grondement du peuple qui s’oppose à l’arrachement de ses portes pour construire une