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UNE VILLE ALSACIENNE.

de ses méfaits. L’abbé, lassé de l’indifférence des autorités palatines auxquelles il se plaignait en vain, l’accuse devant le pape, tour à tour devant Innocent VIII, Alexandre VI et Jules II. Jean de Dratt ne s’en soucie nullement et continue de plus belle. Plusieurs diètes, celle de Fribourg, celle de Worms, celle d’Augsbourg sont saisies de cette querelle, sans résultat d’ailleurs. La dispute ne finit que par la mort de Jean de Dratt, qui, jusqu’à son dernier souffle, n’accepte aucune transaction.

Tant de luttes, compliquées encore par les dissensions que soulevaient les nouvelles doctrines de la Réforme, affaiblirent si bien l’abbaye qu’il fallut définitivement la séculariser. Convertie d’abord en une collégiale de chanoines séculiers, elle fut ensuite incorporée à l’évêché de Spire, dont elle resta dépendante jusqu’à la Révolution.

Cependant, les rois de France commençaient à jouer envers l’Allemagne ce rôle si habile, par lequel, tout en s’efforçant de ruiner la puissance de leur grand ennemi, l’Empereur, ils tâchaient, patiemment, de rattacher au royaume les anciennes contrées qui avaient appartenu à la Gaule. Dès 1552, Henri II, accédant à la Ligue formée par l’électeur de Saxe contre l’Empereur, pénétrait en Alsace et établissait tout près de Wissembourg ses cantonnemens. Les habitans ne lui témoignèrent nulle aversion. Quelques années auparavant, un chef de lansquenets, bourgeois de Wissembourg, Sébastien Vogelsberger, un homme assez curieux, d’abord garçon boulanger, puis chrysographe et maître de langues, avait assisté au sacre du Roi, à Reims, avec plusieurs compagnies de soldats et leurs drapeaux. Il avait, à son retour, été accusé de trahison par Charles-Quint et décapité. On peut présumer que, si les Wissembourgeois ne témoignèrent pas avec plus de franchise leurs sentimens à l’égard de Henri II campé aux portes de la ville, c’est qu’ils se rappelaient le sort de Vogelsberger et en craignaient un pareil. Plus tard, en effet, Philippe de Soetern, évêque-prévôt de la collégiale, dut à ses sympathies pour la France dix années de captivité. Les épouvantables misères de la guerre de Trente ans achevèrent de montrer à Wissembourg combien peu elle pouvait compter sur la protection de l’Empire. Prise et reprise par les Impériaux, les Suédois, les Français, les Weymariens, saccagée par la soldatesque de Mansfeld, ses habitans égorgés, ses maisons pillées, ses caisses vidées, elle comptait, à la fin de la