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Or le drame se tient et se passe de commentaire. Cependant, au-dessous de l’action subsiste l’idée dont il est sorti, qu’il a illustrée, rendue frappante. Dans la jeunesse intellectuelle, les faibles se confient aux forts et leur demandent appui. Ils sentent celui qui est doué et avec la crédulité de l’ardente adolescence ils attendent de lui le sens de leur vie. Et celui-là, que leur donnera-t-il ? Il leur propose l’empire de l’esprit humain. Mais la conquête n’a de force que par lui, et lui-même n’a de force que son orgueil. Sa personnalité atteinte par un coup lâche et fatal du destin, tout s’écroule, et « leur effort arrivé à une limite vaine, » ils se sentent sans but, ils retournent à leur vie, et le chef inutile apprend seul la fin de la dure leçon. :


Enfin, ce qui achève de constituer l’œuvre de M. Claudel, c’est le sentiment religieux. Depuis le premier de ses drames jusqu’à la plus récente de ses Odes ou de ses Hymnes, cette œuvre vibre d’un accent de catholicisme passionné. C’est d’abord une sourde recherche, l’expression de la privation de Dieu, de la lacune d’un univers sans lui ; puis une enquête où nous suivons bien moins un projet de démonstration qu’une angoisse personnelle : les drames de l’Arbre cherchent un ordre divin auquel puissent se relier les problèmes de la vie et de l’intelligence. Enfin c’est l’épanouissement d’une foi intégrale et son rayonnement infini.

M. Paul Claudel est un converti. Peu instruit des choses religieuses et y étant indifférent, il fut, à vingt ans, soudainement visité par la douce persuasion de Dieu.


« O mon Dieu[1], je me rappelle ces ténèbres où nous étions face à face tous les deux, ces sombres après-midi d’hiver à Notre-Dame,

Moi tout seul, tout en bas, éclairant la face du grand Christ de bronze avec un cierge de vingt-cinq centimes.

Tous les hommes alors étaient contre nous, — et je ne répondais rien, — la science, la raison.

La foi seule était en moi, et je vous regardais en silence comme un homme qui préfère son ami. »

  1. Magnificat.