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toutes les mamans ; ici encore, la vérité leur est révélée par la fantaisie : la douceur du foyer leur apparaît dans la maison des fées.

Pour que l’Italie possédât ainsi un classique de l’enfance et que Pinocchio devînt un type aussi connu que les héros de la légende et de l’histoire, que d’efforts préalables ! et que de tâtonnemens ! Plusieurs brouillons ont été nécessaires, avant le chef-d’œuvre. Il n’a pas fallu moins de trois conditions réunies pour que le petit livre vit enfin le jour : une tradition établie ; le talent d’un auteur ; et la collaboration du génie de la race.

Une tradition, d’abord : vers la fin du XVIIIe siècle, on s’aperçut que les enfans avaient, peut-être, des goûts différens de ceux des grandes personnes en matière de lecture. Auparavant, on leur mettait entre les mains l’Histoire sainte ou la Vie des Saints, qui devaient leur suffire. Le Père Soave, traducteur, philosophe et pédagogue, qui munit abondamment les écoles d’abécédaires, de traités de calligraphie, d’orthographe et de style, se mit à composer aussi des Nouvelles qui fournirent une longue carrière, même à travers les vicissitudes de la conquête française, de l’Empire et de la Restauration : moins peut-être à cause de leurs propres mérites, que par le besoin qu’on avait d’elles. Lorsque la pédagogie s’organisa d’une façon régulière dans l’Italie en voie de devenir nation, le besoin se fit sentir de livres de lecture plus vivans que ces fades histoires. Alors parurent les ouvrages que l’on retrouve encore aujourd’hui, tout poudreux, au fond des vieilles bibliothèques, et dont les grands-pères ne parlent pas sans attendrissement à leurs petits-fils : ceux de Cantù ; ceux de Thouar ; et entre tous, celui de Luigi Antonio Parravicini, qui date de 1837, et qui a nom Gianetto. Ce Jeannot est l’ancêtre authentique de Pinocchio.

Ensuite, un auteur au souple talent. — Dans un beau parc de quelque ville toscane, devant un horizon borné par les ondulations des collines harmonieuses, par une matinée de printemps où le ciel serait très pur et très léger, on devrait élever une statue à Collodi. La statue montrerait le bon artiste taillant lui-même dans le bois sa marionnette illustre. Il n’y aurait pas de discours ; tout au plus, les enfans viendraient-ils jeter des fleurs sur le socle ; puis ils s’ébattraient librement. Aussi bien toute inauguration officielle eût-elle déplu à ce très libre esprit. Carlo Lorenzini, — pour l’appeler de son nom véritable, que