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Il ne faut pas oublier cependant l’exemple de l’Algérie française qui montre que le développement économique, si magnifique soit-il, peut ne pas suffire à rallier les indigènes. C’est l’opinion de tous les hommes soucieux de l’avenir de la nation : ils reconnaissent que la question est moins résolue que jamais en Algérie. Les écoles elles-mêmes que l’on n’a, à vrai dire, développées qu’avec une parcimonie craintive, n’en ont pas atténué la gravité ; l’instruction française a formé des hommes capables de formuler dans des formes plus modernes des griefs qui n’ont pas disparu. Sans doute notre entreprise algérienne conserve la marque de tares originelles que bien des raisons, entre autres l’expérience acquise dans le pays voisin, épargneront à notre œuvre marocaine. Son caractère de conquête longue, brutale, destructrice, parce que longtemps aveugle, coupée de révoltes suivies de nouvelles rigueurs, persiste dans le régime fait aux indigènes algériens : l’inégalité devant l’impôt, son emploi au bénéfice d’une oligarchie de conquérans. Mais après avoir fait cette rude école, nous n’abordons pas le Maroc à tâtons, munis que nous sommes aujourd’hui d’une méthode et de moyens beaucoup plus décisifs. Nous savons que certaines fautes doivent y être évitées et certaines conditions remplies, si nous voulons que les bienfaits matériels apportés par nous aient les conséquences morales espérées comme la meilleure justification et consolidation de notre entreprise.


La première de ces conditions est de donner à ce pays une administration qui ne le « mange » pas comme le vieux Makhzen, dont l’empreinte est partout dans la misère de la terre marocaine. Si, dans le Maroc de demain, chacun n’est pas assuré des fruits de son travail, tout l’argent que nous apporterons au pays ne suffira pas à nous y concilier les esprits. Et nous avons vu que notre présence n’est pas à elle seule capable d’assurer le changement, puisqu’elle a commencé par déterminer une recrudescence des pilleries des caïds. Toutes nos demandes, si l’exécution n’est pas surveillée de très près, seront même l’occasion d’exactions nouvelles. On assure que les caïds ont su jouer agréablement du tertib, l’impôt nouveau appliqué cette année ; quel bon prétexte pour « faire suer le burnous, » plus fort que jamais, tout en gémissant sur des rigueurs